Dialogue malicieux avec Disney dans Pompoko

ave_maria_pompokoExtrait du dernier segment de Fantasia (1940), « Ave Maria » réalisé par Wilfred Jackson

 

Pompoko est le septième long métrage réalisé en 1993 par Isao Takahata, son quatrième film produit au sein du studio Ghibli, en tenant compte du documentaire L’histoire du canal de la Yanagawa, réalisé en 1987. Il raconte les ultimes batailles d’un groupe de tanukis (chiens viverrins) pour protéger leur espace vital de l’urbanisation épidémique.
Bien qu’inscrit dans la culture folklorique japonaise, Pompoko résonne comme une ode universelle au respect de la nature, en évitant brillamment de céder à la facilité de la fable écolo-démago. Ce qui n’est pas rien.

On perçoit moins spontanément sa dimension critique, à l’égard de l’art et de l’industrie du cinéma de dessins animés .
Une position largement justifiée par le fait qu’Isao Takahata et son compagnon de route Hayao Miyazaki en ont écrit les plus belles pages, en réaction aux canons imposés au monde, y compris à leur propre pays, par Walt Disney.
La sphère médiatique et culturelle ressasse à l’envi, et surtout par fainéantise, que les principales influences des deux cinéastes japonais se situent chez Paul Grimault (Le bergère et le ramoneur, 1953) et Lev Atamanov (La reine des neiges, 1957). Parfois, cite-t-on à juste titre Youri Norstein et Frédéric Back. Mais rarement, voire jamais, invoque-t-on les films produits par les studios Disney avant la mort de l’Oncle Walt en 1966. Or, loin de les rejeter en bloc, il semble évident que Miyazaki et Takahata, et avant eux tous les vétérans de la Toei Dôga, n’ont cessé de dialoguer avec cet héritage – esthétique, scénique, rythmique, technique – disneyien, issu lui-même du genre de la comédie burlesque dessinée, autrement nommée cartoon.

Le visionnage attentif de Pompoko permet de détecter aisément les plans qui évoquent directement ou indirectement des films de Walt Disney et constituent une réponse à la fois respectueuse et critique aux dogmes disneyens.
La citation à l’Ave Maria de Schubert, relu par Walt Disney en guise d’épilogue pacificateur de Fantasia, apparaît au milieu du récit de Pompoko, alors que les tanukis reviennent d’une expédition punitive contre les humains qui grignotent leur forêt. A la stylisation gothique de la séquence disneyenne, Takahata oppose un naturalisme nocturne non-musical. De plus, au cortège religieux, surlignant lourdement le catholicisme emphatique sous l’égide duquel Disney place ainsi son film ambitieux (« prétentieux, disent même les critiques les plus virulents), Takahata oppose un défilé païen et festif d’âmes animales (les tanukis ne sont pas visibles), référence évidente à l’humilité du bouddhisme zen maintes fois citée dans Pompoko.

pompoko_disney_fantasia

Un peu plus loin dans le récit, à l’apogée de la formidable procession spectrale qui passe en revue de manière tragi-comique tout le panthéon folklorique japonais, ainsi qu’une bonne partie de son patrimoine artistique, Isao Takahata glisse une citation de l’une des plus fameuses « Silly Symphonies », produite, réalisée et partiellement animée par Walt Disney en personne, The Skeleton Dance (1929).
La séquence se veut comique car les deux protagonistes présents au premier plan dissertent depuis un bon moment sur les croyances populaires de leur enfance, sans voir la succession de fantasmagories qui se déroule dans leur dos. Le spectateur complice se rit d’eux, pendant que le cinéphile un peu plus attentif, lequel a déjà repéré quelques minutes plus tôt l’apparition parmi les spectres de personnages des longs métrages précédemment produits par le studio Ghibli*, se sent directement interpelé lorsqu’un squelette envahit l’écran sans être vu par les deux vieillards, selon la même mise en scène que la sortie de la première carcasse de Skeleton Dance.
Un plan qui fleure bon l’hommage personnel ou la private joke.

pompoko_disney_skeleton_dance

Peu avant le dénouement du récit de Pompoko, une dernière citation flagrante s’offre aux regards avertis.
Les tanukis se sont faits voler partiellement la paternité du grand défilé de fantômes par le promoteur d’un parc d’attraction. Ce qui pourrait d’ailleurs constituer une autre métaphore, mais passons.
Un journaliste et son cameraman tentent un reportage en forêt pour percer le mystère. Acculés, désespérés, les animaux acceptent de se montrer face caméra pour prouver leur pouvoir métamorphe. Après avoir supplié les hommes, de manière déchirante, de ne pas détruire leur espace vital, les deux sages-tanukis se transforment en toutes sortes de créatures de la forêt. Le cercle d’animaux réalistes qui semble assaillir les deux humains renvoie au célèbre plan de Blanche-Neige (1937) – mille fois cité et détourné – à la différence près que les animaux présents ne représentent plus les archétypes d’une faune aseptisée et docile à la physionomie néoténique**, mais un pan entier d’un écosystème menacé d’extinction, écosystème parfaitement plausible dans ses proportions anatomiques et ses mouvements.

pompoko_disney_blanche_neige

A y regarder d’un peu plus près, d’autres éléments du film participent de ce dialogue malicieux avec l’héritage disneyens. En voici deux que je trouve aussi tortueux qu’intéressants.
Le premier réside dans le statut iconographique donné au tanuki par Takahata. Dans une certaine mesure, ce dernier présente l’animal menacé en pendant japonais de Mickey Mouse.
Emblème par excellence de la japonité, le tanuki se substitue au rongeur universel, pour symboliser simultanément une animation auteuriste et artisanale, précieuse donc, et le positionnement d’un cinéaste – entrepris une décennie plus tôt – sur des récits centrés avec bienveillance sur la culture et les problématiques de son propre pays. Des récits autosuffisants, peu préoccupés par la renommée internationale.
Il faut remonter à l’Antiquité des dessins animés japonais pour réaliser que le choix d’un avatar emblématique propre à l’animation nippone n’est pas nouveau.
Et il semble évident qu’Isao Takahata n’a pas décidé de donner par intermittence aux tanukis de Pompoko une forme caricaturale schématique tout à fait au hasard.
Cet esthétique intervient dans des cas précis pour ramener les personnages du récit à leur statut fondamental de créatures dessinées parodiant une réalité qui, aussi tragique soit-elle, n’en reste pas moins artificiellement recréée pour les besoins d’une fiction. Paradoxalement, ce sont ces séquences cartoonesques qui revêtent une plus grande force poétique que bien des séquences, néanmoins splendides, du film.

pompoko_disney_tanukis_shojoji_templeEn haut, quatre photogrammes extraits de la Danse du ventre des tanukis au temple Shojoji de Ikuo Ôishi (1933).
En bas, les tanukis de Pompoko sous leur apparence cartoonesque.
Notons que cette connivence avec une œuvre antérieure (peut-être considérée comme tutélaire ?) est étayée par la reprise de la chanson des tanukis audible dans le court métrage de Ôishi.
Takahata la reprend à son compte dès les toutes premières secondes de Pompoko.

 

Citons enfin le clin d’œil adressé à notre société du loisir, probablement la pique la plus sévère envoyée très subtilement à la manière dont Walt Disney a très vite dévoyé l’art qu’il prétendait défendre pour en faire un business mondialisé et accessoirement une arme radicale de l’impérialisme états-unien.
Vers la fin du film, un renard transformiste s’associe à un promoteur immobilier véreux qui désire construire un parc d’attraction gigantesque sur le territoire des tanukis. Ce dernier entend surpasser les modèles existants. Un lent mouvement latéral de la caméra nous en montre la maquette. A la différence notoire des parcs Disney, ce projet pharaonique prévoit d’intégrer divers édifices patrimoniaux occidentaux et asiatiques. Là où Disney installe au cœur de ses parcs, l’emblématique château de Cendrillon, caricature du château de Louis II de Bavière, Takahata insère dans son parc d’attraction « idéal » une utopie contre-disneyenne multiculturelle où se côtoient la cathédrale Saint Basile-le-Bienheureux de Moscou, le château de Himeji, la porte monumentale du temple Jôdô à Uji, et le véritable château de Neuschwanstein à Füssen.
Tenant compte du niveau de détails du décor peint pour ce plan et de sa durée d’apparition à l’écran, à la fois furtive mais appuyée par un travelling remarquable, l’intention du réalisateur dépasse assurément la simple anecdote.

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* Kiki sur son balai volant, Porco dans son Savoia rouge, la jeune Shizuku, héroïne amoureuse de Si tu tends l’oreille
** Disproportions physionomiques naturelles chez l’enfant qui leur confèrent, en particulier, de grands yeux.

 

 

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