Annecy 2020 – L’interview exclusive

 

Cette année – et on se demande bien pourquoi – le Festival International du Film d’Animation d’Annecy* se déroulera à distance et « on line« , du 15 au 30 juin 2020.
C’est donc sur écran d’ordinateur que l’on pourra découvrir l’ensemble des œuvres en compétition, ainsi que diverses rencontres dématérialisées avec toutes sortes de professionnels de la création animée mondiale. Et il se peut que ces conditions exceptionnelles constituent une véritable aubaine pour appréhender pleinement, à savoir sans trop de parasitages et avec une meilleure acuité, l’intégralité de la programmation du plus ancien et plus important festival de films d’animation du monde.
Je m’en explique, ci-dessous, dans l’interview que j’ai bien voulu m’accorder à moi-même, en guise de contextualisation de la série de chroniques dédiées que je publierai ici à partir du 15 juin.

DeA : êtes-vous content de participer de nouveau au festival d’Annecy ?
C’est vrai que cette édition en ligne est l’occasion idéale de renouer avec une manifestation que j’ai fréquentée et couverte assidûment entre 1997 et 2007, puis délaissée faute de disponibilité chaque année en juin. Je confesse que mon aversion pour les rassemblements massifs m’a bien aidé à supporter le manque.
Ce qui ne m’a cependant pas empêché, voyez-vous, d’organiser annuellement, et sans interruption depuis 1997, dans un cinéma normand, une séance « Best of Annecy » reprenant une partie de son palmarès. A mon grand désespoir, ce rendez-vous a d’ailleurs longtemps été l’unique fenêtre ouverte récurrente sur l’animation internationale dans toute la région où je vis et travaille.

 

DeA : que signifie pour vous « couvrir un festival international de films » ?
Quand on le fait scrupuleusement, cela veut d’abord dire « voir beaucoup, beaucoup de films, bons et mauvais, dans une même journée, du matin au soir, et ce plusieurs jours d’affilé ».
L’inconvénient d’une manifestation annuelle d’envergure comme celle-ci, dans un milieu où tout le monde se connaît plus ou moins, est que vous pouvez passer une bonne part de votre temps de festivalier à papoter, euh pardon à réseauter, autour d’un verre, d’un repas, dans une fil d’attente ou dans la salle de presse, et plus vous connaissez de coreligionnaires, plus vous loupez de séances.
Sachant qu’il n’y a pas seulement des films à voir mais aussi de nombreuses rencontres, conférences, « leçons de cinéma » et autres interventions publiques qui se tiennent simultanément à côté des projections, que le Marché International du Film d’Animation (MIFA) est aussi très intéressant à fréquenter, il est impossible à une seule personne de tout appréhender. On apprend donc vite le tri sélectif, voire trop sélectif.
Et j’ajoute, à l’attention de celles et ceux qui ignorent ce type d’expérience, que même en très bonne condition physique, on en ressort repu mais complètement lessivé.

 

DeA : que pensez-vous du fait que l’édition de cette année ait été maintenue mais dématérialisée ?
Au-delà de l’opportunité personnelle que j’y trouve, et constatant à ce stade la qualité fonctionnelle de la plateforme « Annecy Network », qui sert d’interface pour suivre toutes les séances du programme, tout semble réuni pour que l’objectif premier de ce festival – promouvoir les films et ceux qui les font – soit atteint. Certes, il manquera le côté festif, les pique-niques sur le Pâquier, les cocktails, les afters, les poseurs, les avions en papier mais, pour ce qui me concerne, ces aspects sont totalement négligeables.

DeA : un commentaire a priori  sur les sélections de longs métrages ?
Je regarderai avec une attention particulière les extraits concernant le deuxième long métrage de Rémi Chayé, Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary.
The Nose and the Conspiracy of Mavericks
d’Andrey Khrzhanovsky et Kill it or Leave this town de Mariusz Wilczynski excitent ma curiosité.
Des autres réalisations en lice, je n’attends pas grand chose.
En revanche,  la compétition « Contrechamps », qui semble d’emblée moins consensuelle, plus cosmopolite et plus audacieuse dans ses propositions esthétiques, me donne envie d’y consacrer du temps.

 

DeA : les courts métrages ?
Que ce soit en « Sélection officielle », « Off Limits » (expérimentaux), « Perspective » (plus « exotiques »), de « Fin d’études » ou « Jeune public », il y a toujours dans le court métrage d’animation de l’excellence à observer, une inépuisable créativité, des innovations audiovisuelles et narratives, des expériences visionnaires dont le commun des spectateurs ne verra, au mieux, les effets dans le long métrage que dans quelques années.
Le fait que l’édition 2020 d’Annecy se déroule « en ligne » et s’étale sur deux semaines devrait favoriser une couverture plus complète et plus juste de tous les films présentés. En effet, tous les journalistes qui couvrent le festival intégralement le savent, évaluer objectivement la qualité d’un film noyé dans une masse, pour peu qu’il soit programmé en fin de semaine, qu’il ait le malheur d’apparaître en début d’après-midi et/ou à la fin d’un programme particulièrement soporifique, peut s’avérer compliqué.

Si cela ne se faisait pas précédemment, je suggèrerais bien aux organisateurs du festival de systématiser une version en ligne, que ce soit pour les cinéphiles et professionnels dans l’incapacité de se déplacer à Annecy ou pour les journalistes-critiques un peu sérieux qui ont besoin de revoir posément les films avant d’émettre sur eux un avis définitif et potentiellement désastreux pour une production, quel que soit son format. Économiquement et médiatiquement, le festival pourrait même y gagner.

DeA : vous ne consommez ni la télé, ni les plateformes. Suivrez-vous quand même la compétition TV et films de commandes ?
Ce renoncement ancien n’est absolument pas incompatible avec un goût prononcée pour les bonnes séries, animées ou non ! Au contraire.
Ceci étant dit, je serai probablement obligé de survoler ces catégories de la compétition. Néanmoins, je ne manquerai pas de visionner avec la plus grande attention les réalisations d’artistes dont je suis le parcours depuis plusieurs années. Je pense notamment à Julia Pott (Summer Camp Island) et à Hisko Ulsing (Undone), dont le Junkyard m’avait très impressionné en 2012.

 

DeA : « works in progress », « making of », « previews » et « leçons de cinéma » ?
Les séances « wip » dévoilent les dessous de productions en cours. Ma curiosité maladive me poussera évidemment vers Insula d’Anca Damian – réalisatrice « voyageuse » qui est déjà l’une des grandes figures du cinéma d’animation contemporain, Interdit aux chiens et aux italiens d’Alain Ughetto – qui m’avait tant touché avec Jasmine, Sirocco et le Royaume des Courants d’Air de Benoît Chieux  – les premières images animées que l’on peut voir sur Internet sont très prometteuses, My Love Affair with Marriage de Signe Baumane – parce qu’il faut toujours garder un œil ouvert sur la production indépendante étasunienne, surtout en ce moment, Inu-Oh de Masaaki Yuasa – qui semble, avec ce film, opérer un nouveau virage à 180°, The Hangman at Home du couple Michelle et Uri Kranot  – parce qu’il y a encore tant à explorer dans le registre de la narration immersive et parce que le couple Kranot a un rapport à la politique, au sens le plus noble qui soit, que j’apprécie beaucoup.

Et puis, bien sûr, je ne manquerai pas le making of de Frozen 2. :)

DeA : et le Marché International du Film d’Animation ?
Traditionnellement, j’avais pris l’habitude d’y passer au moins une journée entière, pour évaluer les tendances, en particulier quant aux positionnements des régions – sujet fondamental, s’il en est – et suivre quelques rencontres interprofessionnelles.
L’intérêt du marché restant, de mon point de vue, le relationnel direct, je me focaliserai cette année sur les quelques pitchs (présentations sommaires) qui m’intéressent à titre personnel. Aussi, je n’en parlerai pas dans mes comptes rendus à venir.

 

DeA : justement, comment la couverture du festival va se traduire sur « Desseins animés » ?
Je publierai au fil de l’eau mes impressions et avis sur les films ou séances qui mériteront que je les archive ici. J’en profite au passage pour rappeler que « Desseins animés » ne traite quasiment pas l’actualité. Les scoops, les exclus, les « breaking news », je laisse ça aux consœurs et confrères qui n’ont que ça à faire et le font très bien.
J’essaierai de constituer à terme une photographie pluridimensionnelle, et la moins subjective possible, de la création animée en 2020.
Parallèlement, je mettrai en avant mes « coups de cœur », que j’espère nombreux.

 

DeA : Merci et bon festival
Merci à vous !
DeA : non, merci à VOUS !
Je vous en prie, c’est tout naturel.
DeA : vous êtes trop modeste.
Vous voulez combien ?

Cycle de marche du maire Uruk
Sirocco et le royaume des courants d’air
de Benoît Chieux (Sacrebleu production)

 

* Le 60e anniversaire et l’hommage à l’animation africaine, initialement prévus, sont reportés en 2021.
On rappelle que la première édition a été créée en 1960, dans le prolongement des Journées Internationales du Cinéma d’Animation (JICA) qui se tenaient, dans l’indifférence générale, à Cannes depuis 1956. Le Festival International du Film d’Animation, qui se déroulait traditionnellement tous les deux ans, est devenu annuel en 1997.
2020 marque la 43e édition du FIFA et la 29e édition du Marché International du Film d’Animation (MIFA), lancé officiellement en 1985.

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