Aurora, l’étoile arménienne

Un film d’Inna Sahakyan
Titre original : Aurora – Star wider Willen (Aurora, star contre son gré)
Année de sortie : 2022
Origine(s) : Allemagne, Arménie
Visible sur Arte.tv du 25 avril au 24 juillet 2023

Où « c’est comme ça qu’il faut procéder et non avec des fusils ou des épées. »

Ce magnifique long métrage témoigne une fois de plus des potentiels de sublimation (purification et élévation à un niveau supérieur) du réel, rendus possibles par le cinéma d’animation.
A travers l’histoire à peine croyable d’Aurora Mardiganian, l’une des premières stars hollywoodiennes du cinéma muet, ce documentaire hybride – qui entrecroise images d’archives* et dessins animés – questionne avec une relative radicalité la mémoire du génocide arménien (1915-1916). Toujours nié par l’État qui l’a perpétré et jamais sanctionnée par la Justice internationale, cette première extermination organisée d’une population entière au 20e siècle serait vouée à l’effacement progressif – hors de la communauté arménienne – sans la fabrication de ce type de narration, apte à toucher, quitte à la heurter, la sensibilité des spectateurs du monde entier.
L’animation, à plus forte raison lorsqu’elle repose sur une direction artistique de haut niveau, possède ce pouvoir de reconstitution esthétisée (ici avec le raffinement sophistiquée d’un Alphonse Mucha), de mise à distance – sinon de soutenabilité – de l’horreur, de poétisation de l’indicible, facultés qu’un nombre croissant de producteurs de documentaire ont maintenant bien intégrées.

Outre son arrière-plan historique teintée de quelques touches de pathos, ce récit traduit l’universalité des dispositifs d’extermination massive, démontre le caractère puissamment mobilisateur mais éphémère de la fiction et évoque l’instrumentalisation médiatique des images, à bon et mauvais escient.
Un exemple : le récit autobiographique d’Aurora Mardiganian a d’abord était publié dans la presse new-yorkaise sous forme de feuilleton. Sur la base de cette série littéraire a été produit à Hollywood le long métrage Aunction of Souls (1919) dans lequel la rescapée exilée jouait son propre rôle. Ce film a largement contribué, dès sa sortie, à la prise de conscience internationale de la réalité du génocide arménien, avant de tomber dans l’oubli.
Pour ménager un tant soit peu la sensibilité des spectateurs, l’adaptation hollywoodienne a travesti la représentation du supplice subi par les femmes empalées qu’a croisé Aurora en fuyant les massacres. Le film montre à la place une scène de crucifixion estimée plus tolérable. Longtemps perdu, Aunction of Souls a été retrouvé partiellement en 1994, l’année du décès d’Aurora Mardiganian. Dans les séquences retrouvées figure celle de la crucifixion, dont certains plans ont plus tard été décontextualisés et instrumentalisés comme prétendues preuves de fabulation quant à l’inexistence du génocide. Le documentaire animé rectifie crûment cette falsification, devenue enjeu de société un siècle plus tard.

* films d’actualité d’époque, extraits du film  Âmes aux enchères, extraits d’entretiens filmés avec Aurora dans sa retraite californienne