L’appât du gain-a-priori-facile vient de dégrader un peu plus le concept vertigineux inventé par Masamune Shirow au début des années 90 du siècle précédent.
A lire le récent billet d’Amid Amidi sur les pertes maximales attendues suite à l’échec commercial* de l’adaptation filmique en vues continues de Ghost in the shell, coproduite par Paramount/DreamWorks/Reliance film (ceci expliquant cela), et à recueillir depuis quelques jours les avis de spectateurs – fans de la première heure, plus ou moins avisés et malgré cela un brin naïfs – dépités de s’être pris les pieds dans les grosses ficelles d’une imposture déguisée en Scarlett Johansson, on se demande franchement comment le modèle (impérialiste, ethnocentré et éculé) de l’industrie de la malbouffe audiovisuelle hollywoodienne peut encore duper aussi facilement non seulement les publics, mais aussi les producteurs.
La réponse n’est-elle pas contenue dans la question d’ailleurs ?
Ayons une pensée inquiète pour les néophytes, jeunes ou moins jeunes, qui vont découvrir Ghost in the shell par le biais du nanar luxueux (110 millions de dollars, tout de même !) réalisé par Rupert Sanders. Il est à craindre que les rares curieux parmi eux qui auraient la bonne idée de s’intéresser a posteriori à l’œuvre d’origine, se forgent une opinion erronée quant à l’amplitude réelle de l’univers de Shirow, sur la seule base d’une superproduction aseptisée à tous les niveaux. Laquelle se présente comme une fainéante resucée des deux longs métrages animés réalisés en 1995 et 2004 par Mamoru Oshii.
Oshii ayant pris le parti dès 1995 de dénaturer l’œuvre graphique originelle pour l’emmener vers un territoire plus austère et réflexif**, Ghost in the shell avait déjà perdu alors deux de ses singularités fondamentales : sa dimension érotique (plus globalement sa représentation des corps fantasmés) et son humour complice.
Au cyberpunk nihiliste développé par William Gibson (dans « Neuromancien » notamment, publié en 1984), Shirow opposait alors une résignation optimiste et terriblement visionnaire suffisamment rare dans la grande et noble science-fiction pour ne pas susciter l’adhésion quasi-inconditionnelle des fervents amateurs du genre et fatigués par les récits apocalyptiques.
Sans doute est-il donc plus utile/instructif/divertissant de lire la première série de bandes dessinées « Ghost in the shell », de préférence dans sa version non-censurée, plutôt que de perdre un temps précieux à visionner son remake américain (« et toutes ses déclinaisons animées produites pour le marché de la vidéo« , murmurent les puristes cinéphiles !).
Mais d’aucuns gagneraient surtout à (re)découvrir les quatre volumes de l’œuvre phénoménale qui l’ont préfigurée, « Appleseed ».
A bon entendeur…
Les notes de bas de page sont légion dans les planches de « Ghost in the shell ».
L’auteur y interpelle son lecteur – peut-être trop parfois – quant à la crédibilité de son récit.
Cette séquence*** de pornographie frontale, exceptionnelle dans la série,
prophétise avec plus de subtilité qu’il n’y paraît la sexualité « dématérialisée », revers très discutable de la sacro-sainte « Révolution numérique ».
Au-delà de la représentation clairement destinée à émoustiller le lecteur, le contexte dans lequel elle intervient dévoile de manière cocasse un aspect inattendu de la personnalité du personnage principal.
Ses tergiversations existentielles et ses rapports avec son partenaire, Batou, n’en seront ensuite que plus ambiguës.
En pleine intervention anti-terroriste, Batou se connecte au cyber-cerveau de son supérieur hiérarchique,
le major Kusanagi, et intercepte malgré lui un orgasme plus ou moins virtuel.
Quelle audace, quand on y réfléchit !
* « Échec commercial » signifiant dans le cadre du modèle économique hollywoodien, des recettes trop faibles pour compenser un coût de production astronomique dont une bonne partie est allouée au salaire des stars à l’affiche et à une campagne de communication mondiale de type invasive.
** Lors de sa sortie en France, une part importante des spectateurs du long métrage s’était offusquée des longues plages contemplatives (marque de fabrique de Mamoru Oshii) aux dépens de l’action et de la violence visuelle que beaucoup d’adeptes d’une animation japonaise « idéalisée » venaient chercher dans ce type de film.
*** Rappelons que pour les besoins de l’édition occidentale, émanant fréquemment de premières éditions américaines, le sens de lecture global et, par conséquent, chacune des planches de bandes dessinées ont été symétriquement inversées, dans bon nombre de manga publiés à la fin des années 90.
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