(dernière mise à jour : mai 2025)
Dans cet article générique et antéchronologique, je recense de manière très subjective quelques contenus à la viralité aussi relative qu’emblématique de la résistance de l’Intelligence Humaine (IH) dans sa guerre inégale contre l’Inintelligence Algorithmique Générative (IAG) déclarée en 2022.
Ce « combat » est avant tout un réflexe d’auto-défense contre la paresse intellectuelle, ou plus exactement contre la « fainéantise métacognitive » (qui contribue à la baisse de la qualité de l’apprentissage, à tous les âges de la vie) laquelle accentue la dépendance volontaire des individus à la pensée toute-faite, simpliste, formatée, conformiste, docile.
En ce début torride de mai 2025, je découvre cette photo en lisant la dernière newsletter du Pôle Magélis (Angoulême). Celle-ci est extraite de la fin de la conférence « IA et animation 2D – Entre potentiel et réalité » donnée par la chercheuse Stéphanie Cadoret, dans le cadre d’une rencontre organisée par l’école d’animation EMCA le 15 avril dernier.
En voyant ici listés les recommandations de cette experte en (je cite) « animation studies« , je ne peux m’empêcher de relever que ces « compétences à entretenir » pour survivre professionnellement à la contamination des métiers de l’imagerie (bien au-delà du seul secteur de niche de l’animation 2D donc) par les outils numériques boostés à l’IAG, ces compétences sont ni plus ni moins celles qui ne sont quasiment plus enseignées dans les écoles spécialisées. lesquelles priorisent à différents degrés l’apprentissage de savoir-faire pratiques en délaissant ce qu’on appelle communément la « culture générale ».
J’ajoute, pour préciser cette expression aussi vague que galvaudée, que le développement et l’entretien de cette culture générale individuelle – qui ne peut se limiter à la seule culture visuelle – n’est possible que par une astreinte à des lectures diversifiées (fictions, essais, documents techniques, presse, etc.) et à une veille permanente, quel que soit le temps que l’on peut lui octroyer, qui dépasse les seules thématiques inhérentes à son domaine d’activités. Par exemple, se tenir informé.e des avancées politiques, économiques et sociales du secteur des Industries Culturelles dans son vaste ensemble, favorise mécaniquement les compétences cognitives complexes, l’esprit critique, les raisonnements logiques, une lecture éclairée de l’air du temps, l’anticipation des mutations du marché du travail, une meilleure adaptation au travail d’équipe, voire une véritable polyvalence professionnelle, garante de carrière durable, sans lassitude, évolutive et trans-disciplinaire.
Installer ces simples routines de lecture (de documents imprimés pour une meilleur assimilation, nous crient les neuro-scientifiques !) et de veille stimule presque systématiquement les capacités d’idéation (formation, organisation et expression des idées), de conceptualisation (étape profondément humaines inaccessibles à l’IAG) préalable à toute phase de conception, à la mise en forme schématique des concepts imaginés par l’esquisse (rough) plus ou moins élaborée, à la mise en récit (scénarisation linéaire ou non-linéaire, storyboard, animatique, previz…) d’une illustration, d’un film, d’une série, d’un jeu vidéo, d’une œuvre immersive.
Sur le terrain et/ou médiatiquement, nous sommes un certain nombre à nous désoler, tout en profitant de la moindre occasion pour combler un tant soit peu cette lacune sociétale majeure, de l’inculture artistique et de la médiocrité intellectuelle générales (des étudiants aux adultes décisionnaires), et ce depuis bien avant l’arrivée tonitruante des IAG.
Le temps est peut-être enfin venu de voir revenir la culture générale, et les routines qui la stimulent efficacement, au cœur de l’enseignement généraliste et surtout spécialisé.
Avril 2025, le Syndicat des scénaristes (français) publie le texte de l’intervention de Romain Protat, orateur remarqué du « Contre-sommet de l’IA, pour un humanisme de notre temps » (cf. plus bas, février 2025).
« Nous le savons, les IA génératives (IAG) ne sont pas plus «intelligentes» qu’elles ne sont «créatives».
Ce ne sont que des moteurs d’inférences statistiques aux règles déterministes, capables de produire un résultat qu’elles ne comprennent pas elles-même.
Malgré tout, certains scénaristes y voient le Viagra d’un imaginaire fatigué, la Substance, qui leur permettra de tenir un peu plus longtemps, de surfer sur le tsunami plutôt que d’y être englouti.
Mais tous se veulent rassurants quant à son impact sur nos mondes intérieurs.
L’IAG ne serait qu’un aimable partenaire de double, un pongiste virtuel qui simule et stimule. Un produit miracle sans effets secondaire.
C’est faux. Une étude de l’University College de Londres, publiée l’année dernière, prouve que les auteurs qui utilisent l’IAG ont du mal à échapper à ses suggestions et que les histoires écrites à l’aide d’IAG se ressemblent plus entre elles que celles écrites sans.
Les IAG ont bien un effet nocif sur la créativité. Mais pas uniquement.
Les idées ne flottent pas dans un cloud où l’IAG les attraperait avec son filet à papillons. C’est un chalutier au filet dérivant qui après avoir pillé et digéré nos œuvres sans en avoir le droit, accompagne chacune de ses requêtes d’un massacre bien réel des récifs de coraux.
Aujourd’hui, sans recours massif et généralisé à l’IAG, une heure de production audiovisuelle émet déjà 16 tonnes de CO2, soit l’équivalent de deux fois le tour de la Terre en voiture à essence.
Pourtant, l’absurdité des ressources nécessaires pour refroidir les data centers ne semble pas refroidir les ardeurs des agités du prompt.
C’est un écocide au carré, à la fois culturel et environnemental.
Des argument en faveur de l’usage de l’IAG chez les scénaristes, il y en a beaucoup, comme « il n’y a pas à s’inquiéter, les IA ne remplaceront pas les scénaristes », « ce sont les scénaristes qui maîtrisent l’IA qui remplaceront ceux qui ne savent pas s’en servir ».
Admettons. Admettons que ce qui fait la différence entre deux artistes, ce n’est pas leur vision du monde, leur instinct, leur poésie, mais une compétence sur leur profil LinkedIn « maîtrise Excel et ChatGPT » ou leur dextérité dans l’utilisation des raccourcis-clavier de Final Draft.
Admettons que le paysage audiovisuel à venir se divise en deux, ceux qui savent écrire des prompts et ceux qui creusent.
Que certains ne nous voient que comme des imprimantes, avec différents modules selon la marque (plug-in «film d’auteur», extension «comédie policière», option «dessin animé preschool», ça ne me surprend pas.
Mais est-ce comme ça que vous vous voyez vous-même ? Des fournitures de bureau interchangeables, dont le seul espoir de recyclage, si vous ‘êtes pas assez souple pour devenir prof de yoga, est de vendre vous-même des formations à l’IA ?
L’IAG n’est qu’un outil, comme un appareil photo (?)
Non, l’IAG n’est pas qu’un outil, et surtout pas un outil neutre.
Aucun appareil photo ne décide à votre place de ce que vous cadrez. Là où l’IAG vous enferme dans ses biais et ses limites. Un carcan et des œillères idéologiques, politiques, historiques, qui peuvent être mis en place aussi bien par des trilliardaires partisans d’un président orange et fascistoïde, que par le gouvernement d’un pays qui enferme ses opposants dans des camps de travail.
Les IAG permettront des gains de productivité (?)
Qui pourrait être contre les gains de productivité ? Personne. Ma répartition de leur bénéfices, en revanche, ça se discute.
Depuis plus de 40 ans, les gains de productivité se font au détriment des travailleurs et au bénéfice des actionnaires. Sous couvert de la disponibilité de l’IAG, ce pseudo-exosquelette mental, on vous demandera d’écrire deux fois plus vite ou pour deux fois moins d’argent. Probablement, les deux.
Être contre les IAG, c’est être contre le progrès (?)
Ainsi, avoir une vision critique des IAG dans les arts et la culture, ce serait être contre les voitures volantes, contre les sabres laser, contre les lendemains qui chantent.
Ceux qui ne cèdent pas aux sirènes du modernisme seraient du même acabit que ceux qui s’opposaient aux chemins de fer, au téléphone ou à l’Internet.
Bien qu’un des plus faibles et plus usés, ce sophisme est l’un des plus communs. C’est un larsen auto-tuné de l’avatar numérique de Kaa, le serpent du « Livre de la jungle ». « Aie confiance ! Crois en moi ! » et accepte sans craintes les Conditions Générales d’Utilisation et les cookies.
Ne leur déplaise, on peut être contre les SUV tout en étant pour les ambulances.
On peut réfléchir à l’utilité de l’IA dans différents domaines, tout en étant dubitatif quant à l’impérieuse nécessité de gâcher 12 litres d’eau et d’émettre 60 kilos de CO2 pour développer le concept d’une énième série avec «deux enquêteurs que tout oppose». Il est chauve, elle est coiffeuse, ensemble ils combattent le crime ! Perucops ! Perucrime !
En revanche, on ne peut être progressiste sans avoir ouvert un livre d’Histoire et donc avoir une petite idée de ce qui risque d’arriver. Être progressiste n’est pas se précipiter à corps perdu vers une dystopie désincarnée.
Tous ces arguments et bien d’autres ont un point commun : l’absence cruelle de toute notion d’éthique, morale, sociale ou politique. Mais il serait trop facile de blâmer uniquement les individus qui les défendent.
Face à la peur d’être dépassé, aux injonctions contradictoires, au stress, à la curiosité légitime face à un outil qu’on nous promet révolutionnaire, face à toutes ces choses que ne ressentira jamais un moteur d’inférence statistique, se pose avant tout la question de notre responsabilité collective.
Les lois et les règlements, bien que trop souvent rédigés par la main invisible du marché, sont nécessaires.
Mais ils ne sont pas suffisants. Nous devons réfléchir à un ethos, une manière d’être ensemble, face à ces sujets.
Il est de notre devoir de nous armer d’un surmoi éthique, moral et politique en ce qui concerne l’IAG et ses usages.
En tant qu’organisations professionnelles, en tant qu’artistes, en tant qu’êtres humains.
Et je ne parle pas d’un futur lointain.
Dès aujourd’hui, en France, des producteurs demandent à des scénaristes de se contenter de passer un coup de polish sur des textes générés par des IA.
Des sociétés embauchent des prompt engineers grassement payés, tout en nous expliquant qu’ils manquent de fond pour payer les scénaristes, quand bien même ceux-ci maîtriseraient parfaitement l’IAG, d’ailleurs !
Qui est au service de qui quand vous n’êtes plus qu’un relecteur parmi d’autres de votre propre création extrapolée par une machine ?
Homme de paille, uniquement là pour justifier les aides du CNC et donner la réplique. A partir de quand ce sera nous, les Replicants ?
Alors je ne sais pas si les androïdes rêveront un jour de moutons électriques, mais je jais que pour l’instant, les moutons, c’est nous, les créatrices, les créateurs, les auteurs, les autrices, les artistes, et que sous couvert de progrès inéluctable, beaucoup sont en train d’affûter leurs couteaux en demandant à ChatGPT de dessiner les plans de l’abattoir.
Pour conclure, je dirais à mes camarades scénaristes de réfléchir à ce que l’utilisation des IAG implique.
Je sais que c’est un métier difficile mais nous valons mieux que ça.
Pour trouver l’inspiration, il y a la méditation, le sport, la masturbation, le coup de fil à un ami, le Yi King et plein d’autres choses.
Chacun cherche sa solution, mais je sais que confier notre avenir et notre art à un moteur d’inférence statistique n’est pas la bonne. En attendant, libre à vous de penser ce que vous voulez sur les IAG. Et, avec ou sans leur aide, libre à vous d’écrire ce que vous voulez dans vos scénarios.
Oui, libre à vous de penser ce que vous voulez, et libre à vous d’écrire ce que vous voulez.
Mais pour combien de temps encore ? »
Mars 2025
Ici ou là, de T#kT#K à Link#In, fleurissent avec le printemps pléthore de bandes annonces parodiques de longs métrages de films en vues continues (Le Seigneur des Anneaux, Interstellar, …) et de photographies ré-interprétées « à la manière du Studio Ghibli » (le faux-Pixar étant déjà passé de mode depuis janvier) grâce aux applications d’IA générative.
C’est rigolo, ça buzz, éblouit l’inculte et scandalise le.la conscientisé.e du pillage et de la négation de l’acte artistique en soi que ces productions vides de sens constituent.
Je m’attarde ici en particulier sur l’esthétique résultant de la synthèse des données ingérées par les modèles d’IAG lesquels, rappelons-le, plagient certes (au mépris des droits élémentaires des auteurs des œuvres originelles) mais ne comprennent absolument rien à ce qu’ils font et encore moins au cheminement intellectuel, émotionnel, social, qui a mené aux dessins animés si authentiquement humains ainsi détournés par des imbéciles heureux. Il est rassurant de constater que cette « manière Ghibli » est beaucoup plus proche des sous-productions du studio japonais (Royaume des chats, Arrietty, Marnie, Ronja) que des réalisations de ses deux cinéastes-fondateurs. Rien d’étonnant à cela, puisque ces films de « série B » tentaient déjà vainement de reproduire la patte et la recette de leurs illustres références sans les avoir profondément comprises – c’est une opinion très personnelle que je n’argumenterais pas ici – en aboutissant à des imitations sans âme, animationnellement tape-à-l’œil, scénaristiquement creuses au possible mais assez aseptisées pour satisfaire le marché (diffuseurs, commerçants, consommateurs, fans béats, …).
Ce moment pénible pour tous les amoureux de l’animation – art de créer par la main humaine, assistée ou non par un ordinateur, des mouvements plausibles pour raconter des choses que la vue réelle peine à saisir – passera aussi vite qu’il est apparu. Lui succédera une autre aberration du même acabit, voire pire. L’inculture généralisée et le déficit criant d’éducation artistique des publics en apparaîtra mécaniquement que plus nécessaire à éradiquer, à palier, à soigner. On peut rêver.
Le 27 mars 2025, le Studio Ghibli semblait vouloir répliquer juridiquement. Et cela pourrait faire très très mal à la trésorerie des pilleurs.
Et, qui sait, éveiller a minima le sens moral des utilisateuristes béât.e.s de l’IAG désormais cautions et complices d’une forfaiture à l’encontre des œuvres qu’ils chérissent et accessoirement des artistes qui les pensent et les offrent en cadeaux à la postérité.
Puis vint le temps où l’on commença à assumer publiquement le terme juste pour qualifier l’imposture…
Ce message, posté sur le réseau Linked In le 11 février 2025 à la suite du « Contre-sommet de l’IA, pour un humanisme de notre temps » organisé en marge du grand raout voulu par le président de la République française (pour vanter notamment les dizaines de milliards de pétro-dollars investis en France), me paraît synthétiser à merveille les « angles morts » de la doxa médiatique, techno-marketing et politicienne quant aux véritables enjeux de la généralisation à marche forcée des outils d’IA Générative dans tous les secteurs professionnels.
Au même moment, l’association Le Mouton numérique, « collectif de réflexion techno-critique sur les enjeux que posent les technologies à nos sociétés », publiait son instructive tribune intitulée Intelligence Artificielle : faire front contre la puissance techno-réactionnaire
Février 2025 toujours, la publication de l’étude (non-traduite à ce jour) intitulée « L’impact de l’IA générative sur la pensée critique : auto-déclaration des réductions de l’effort cognitif et des effets sur la confiance en soi d’après une enquête menée auprès de travailleurs des métiers du savoir » par des chercheurs de Microsoft et de la Carnegie-Mellon University (CMU), établissement étasunien depuis longtemps à la pointe de la recherche en matière d’intelligence artificielle, enfonce le clou.
Voici une traduction simplifiée de son résumé (abstract) :
« L’essor de l’IA générative (IAG) dans les flux de travail de la connaissance (enseignement, recherche, production de savoirs) soulève des questions quant à son impact sur les compétences et les pratiques de pensée critique. Nous avons interrogé 319 professionnels du savoir pour déterminer, d’une part, quand et comment ils perçoivent l’intervention de leur pensée critique lorsqu’ils utilisent l’IAG et, d’autre part, quand et pourquoi l’IAG affecte leurs efforts pour le faire.
Les participants ont partagé 936 exemples concrets d’utilisation de l’IAG dans des tâches de travail.
Quantitativement, en tenant compte à la fois des facteurs spécifiques à la tâche et à l’utilisateur, la confiance en soi d’un utilisateur dans la tâche et la confiance en l’IAG s’avèrent prédictives de la mise en œuvre de la pensée critique et de l’effort pour la produire dans les tâches assistées par l’IAG. Plus précisément, une confiance plus élevée dans l’IAG est associée à une pensée moins critique, tandis qu’une confiance en soi plus élevée est associée à une pensée plus critique.
Qualitativement, l’IAG déplace la nature de la pensée critique vers la vérification des informations, l’intégration des réponses et la gestion des tâches.
Nos connaissances révèlent de nouveaux défis et opportunités de conception pour développer des outils d’IAG pour le travail intellectuel. »
Autrement dit, l’utilisation pour des tâches intellectuelles des outils d’IAG entraîne la détérioration – voire l’anesthésie – des facultés cognitives utiles au développement et au maintien de la pensée critique, laquelle est vitale à l’être humain pour pacifier sa vie en société.
Plus simplement encore, le recours systématisé à cette technologie favorise la paresse cérébrale et constitue un sérieux exhausteur de « connerie naturelle » (j’emprunte la formule au « Canard enchaîné » du 19/02/205).
Qu’en est-il pour les individus qui ne sont pas déjà rompus aux tâches intellectuelles élémentaires – lecture et compréhension d’un texte, capacité de synthèse, vérification des informations discutables, élaboration d’une analyse critique, etc. – de plus en plus vitales pour résister à l’appauvrissement culturel généralisé et à la profusion de la désinformation massive organisée ?
A la fin du déroulé des crédits du long métrage horrifique Heretic, réalisé par Scott Beck et Bryan Woods (sorti en novembre 2024), une petite phrase qui en dit long avertit : « Aucune IA générative n’a été utilisée pour fabriquer ce film. » En l’état actuel du débat générale sur les avantages et inconvénients des outils recourant aux technologies d’intelligence artificielle générative de textes, de sons et d’images animées ou non, deux camps majoritaires – outre les réfractaires par idéologie et les ignorants des enjeux sur la balance – se détachent clairement : les techno-croyants qui foncent tête baissée et les pragmatiques modérés qui tentent de ménager la chèvre et le chou en adoptant une position médiane, ni farouchement opposée, ni foncièrement convaincue.
Au milieu, commence à s’étendre le groupe des résistants lucides qui partent du principe que le vaste secteur de l’imagerie se tire une rafale de mitraillette dans les deux pieds et n’aura que ses yeux pour pleurer lorsqu’il sera trop tard, c’est-à-dire très prochainement.
Alors d’aucuns penseront sans doute que ce genre de petite phrase est totalement vaine dans ce contexte. Certes, mais voyons cela comme un début et repensons à l’époque pas si lointaine où la mention « aucun animal n’a été blessé durant ce tournage » faisait aussi l’objet de quolibets condescendants. Reparlons-en dans un an pour évaluer sa réelle pertinence politique.
Saisi à la volée par le photographe Jérôme Brouillet (AFP) à l’issue de la prestation quasi-parfaite du surfeur brésilien Gabriel Medina, le 29 juillet 2024 sur la vague de Teahupo’o (Tahiti), ce cliché messianique – la statue du néo-Christ rédempteur est probablement déjà en cours de fabrication à Rio ;) – ressemble à un malencontreux photo-montage. Il constitue pourtant l’un des plus emblématiques témoignages de l’infini supériorité de l’œil artistique humain, opportuniste et chanceux, sur les impensées de l’IA générative.
«L’IA, c’est le retour du kitsch ! ». La formule a été prononcée le 19 mai 2024 par l’ami Denis Walgenwitz (2e en partant de la droite ci-dessus) pendant le festival de Cannes, à l’occasion de la table ronde « Intelligence artificielle et création : entre révolution et régulation ».
Le kitsch (mauvais goût ou franche vulgarité, assumés ou non) naît généralement par ignorance des règles élémentaires de l’esthétique, par agrégation excessive de motifs visuels hétéroclites. J’espère que les dames de la photo ne se sentiront pas visées…
Le photographe Miles Astray (un pseudonyme) a remporté avec cette photo, intitulée « FLAMINGONE » (jeu de mots entre flamingo/flamand rose et gone/disparu), les prix du jury et du public lors de l’édition 2024 du prestigieux concours de photographie 1839 Awards, dans la catégorie « Intelligence Artificielle ».
Le contexte bien réel de la prise de vue est décrit par le photographe sur son site web.
Message publié sur X, le 29 mars 2024, par l’autrice irlando-polonaise Joanna Maciejewska
Intégralement traduit en français, ça donne : « Savez-vous quel est le vrai problème du tout-à-l’IA ? La mauvaise direction.
Je voudrais que l’IA fasse ma lessive et ma vaisselle pour que je puisse consacrer du temps à mon art et à mon écriture, pas que l’IA pratique à ma place mon art et mon écriture pour que je puisse consacrer du temps à ma lessive et ma vaisselle. »
Parmi les innombrables images truquées, générées avec des outils d’IA et inondant les réseaux sociaux, en amont de la réforme des retraites engagée en 2023 en France, cette image amusante n’apparaît plus, un an plus tard, à l’aube d’élections législatives anticipées, comme un spectaculaire canular. Les fakes numériquement générées ne sont déjà plus que des instruments de propagande, elles pourraient bien aussi prédire l’avenir.
Cette « traumatisante » et néanmoins hilarante fausse bande-annonce pour une énième adaptation audiovisuelle du classique littéraire de Johanna Spyri, publiée en ligne par Patrick Karpiczenko en septembre 2023, montre les limites des outils actuels de génération automatisée d’images et de sons (dont le brassage anarchique de clichés standardisés) et constitue une belle illustration du principe de la « vallée dérangeante » (uncanney valley) qui place le cerveau humain face à un dilemme d’interprétation insoluble, autrement dit qui provoque une perturbation cognitive qui l’empêche d’adhérer pleinement au message qui lui est proposé.
Au-delà de la parodie de potache, qui détourne au passage le générique de la mythique série animée réalisée par Isao Takahata en 1974, ce film expérimental (travaillant la matière même du cinéma) n’en transporte pas moins un message politique aussi féroce que malicieux, montrant aux spectateurs-internautes le reflet de leur adhésion moutonnière aux contenus artificiellement créés qui inondent déjà l’Internet.
En-tête : extrait du tableau de Jason Allen «Space Opera Theater », récompensé le 29 août 2022 lors de la Colorado State Fair (foire d’art contemporain de l’état du Colorado) par le prix « Arts numériques/Photographie numériquement manipulée » (image générée avec MidJourney, en l’occurrence).
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