IA vs IH

(dernière mise à jour : février 2025)

Dans cet article générique, je recense progressivement quelques contenus à la viralité aussi relative qu’emblématique de la résistance de l’Intelligence Humaine (IH) dans sa guerre inégale contre l’Inintelligence Algorithmique Générative (IAG) déclarée en 2022.
Ce « combat » est avant tout un réflexe d’auto-défense contre la paresse intellectuelle, ou plus exactement contre la « fainéantise métacognitive » (qui contribue à la baisse de la qualité de l’apprentissage, à tous les âges de la vie) laquelle accentue la dépendance volontaire des individus à la pensée toute-faite, simpliste, formatée, conformiste, docile.

A toutes fins utiles, donc …

 


 

Message publié sur X, le 29 mars 2024, par l’autrice irlando-polonaise Joanna Maciejewska
Intégralement traduit en français, ça donne : « Savez-vous quel est le vrai problème du tout-à-l’IA ? La mauvaise direction.
Je voudrais que l’IA fasse ma lessive et ma vaisselle pour que je puisse consacrer du temps à mon art et à mon écriture, pas que l’IA pratique à ma place mon art et mon écriture pour que je puisse consacrer du temps à ma lessive et ma vaisselle. »

 


Le photographe Miles Astray (un pseudonyme) a remporté avec cette photo, intitulée « FLAMINGONE » (jeu de mots entre flamingo/flamand rose et gone/disparu), les prix du jury et du public lors de l’édition 2024 du prestigieux concours de photographie 1839 Awards, dans la catégorie « Intelligence Artificielle ».
Le contexte bien réel de la prise de vue est décrit par le photographe sur son site web.

 


«L’IA, c’est le retour du kitsch ! ». La formule a été prononcée le 19 mai 2024 par l’ami Denis Walgenwitz (2e en partant de la droite ci-dessus) pendant le festival de Cannes, à l’occasion de la table ronde « Intelligence artificielle et création : entre révolution et régulation ».
Le kitsch (mauvais goût ou franche vulgarité, assumés ou non) naît généralement par ignorance des règles élémentaires de l’esthétique, par agrégation excessive de motifs visuels hétéroclites. J’espère que les dames de la photo ne se sentiront pas visées…

 


Parmi les innombrables images truquées, générées avec des outils d’IA et inondant les réseaux sociaux, en amont de la réforme des retraites engagée en 2023 en France, cette image amusante n’apparaît plus, un an plus tard, à l’aube d’élections législatives anticipées, comme un spectaculaire canular. Les fakes numériquement générées ne sont déjà plus que des instruments de propagande, elles pourraient bien aussi prédire l’avenir.

 


Saisi à la volée par le photographe Jérôme Brouillet (AFP) à l’issue de la prestation quasi-parfaite du surfeur brésilien Gabriel Medina, le 29 juillet 2024 sur la vague de Teahupo’o (Tahiti), ce cliché messianique – la statue du néo-Christ rédempteur est probablement déjà en cours de fabrication à Rio ;) – ressemble à un malencontreux photo-montage. Il constitue pourtant l’un des plus emblématiques témoignages de l’infini supériorité de l’œil artistique humain, opportuniste et chanceux, sur les impensées de l’IA générative.

 


Cette « traumatisante » et néanmoins hilarante fausse bande-annonce pour une énième adaptation audiovisuelle du classique littéraire de Johanna Spyri, publiée en ligne par Patrick Karpiczenko en septembre 2023, montre les limites des outils actuels de génération automatisée d’images et de sons (dont le brassage anarchique de clichés standardisés) et constitue une belle illustration du principe de la « vallée dérangeante » (uncanney valley) qui place le cerveau humain face à un dilemme d’interprétation insoluble, autrement dit qui provoque une perturbation cognitive qui l’empêche d’adhérer pleinement au message qui lui est proposé.
Au-delà de la parodie de potache, qui détourne au passage le générique de la mythique série animée réalisée par Isao Takahata, ce film expérimental (travaillant la matière même du cinéma) n’en transporte pas moins un message politique aussi féroce que malicieux, montrant aux spectateurs-internautes le reflet de leur adhésion moutonnière aux contenus artificiellement créés qui inondent déjà l’Internet.

 


A la fin du déroulé des crédits du long métrage horrifique Heretic, réalisé par Scott Beck et Bryan Woods (sorti en novembre 2024), une petite phrase qui en dit long avertit : « Aucune IA générative n’a été utilisée pour fabriquer ce film. » En l’état actuel du débat générale sur les avantages et inconvénients des outils recourant aux technologies d’intelligence artificielle générative de textes, de sons et d’images animées ou non, deux camps majoritaires – outre les réfractaires par idéologie et les ignorants des enjeux sur la balance – se détachent clairement : les techno-croyants qui foncent tête baissée et les pragmatiques modérés qui tentent de ménager la chèvre et le chou en adoptant une position médiane, ni farouchement opposée, ni foncièrement convaincue.
Au milieu, commence à s’étendre le groupe des résistants lucides qui partent du principe que le vaste secteur de l’imagerie se tire une rafale de mitraillette dans les deux pieds et n’aura que ses yeux pour pleurer lorsqu’il sera trop tard, c’est-à-dire très prochainement.
Alors d’aucuns penseront sans doute que ce genre de petite phrase est totalement vaine dans ce contexte. Certes, mais voyons cela comme un début et repensons à l’époque pas si lointaine où la mention « aucun animal n’a été blessé durant ce tournage » faisait aussi l’objet de quolibets condescendants. Reparlons-en dans un an pour évaluer sa réelle pertinence politique.

 


 

Puis vint le temps où l’on commença à assumer publiquement le terme juste pour qualifier l’imposture…
Ce message, posté sur le réseau Linked In le 11 février 2025 à la suite du « Contre-sommet de l’IA, pour un humanisme de notre temps » organisé en marge du grand raout voulu par le président de la République française (pour vanter notamment les dizaines de milliards de pétro-dollars investis en France), me paraît synthétiser à merveille les « angles morts » de la doxa médiatique, techno-marketing et politicienne quant aux véritables enjeux de la généralisation à marche forcée des outils d’IA Générative dans tous les secteurs professionnels.

 


Au même moment, l’association Le Mouton numérique, « collectif de réflexion techno-critique sur les enjeux que posent les technologies à nos sociétés », publiait son instructive tribune intitulée Intelligence Artificielle : faire front contre la puissance techno-réactionnaire laquelle pointait « le danger qui se cache derrière [la] grande messe diplomatique [du sommet macronien pour l’action sur l’IA] : celui de l’accaparement rhétorique, politique et économique d’une « technologie » par les classes dirigeantes afin de soutenir leurs projets capitalistes, autoritaires et impérialistes dans lesquels l’intérêt des citoyens·nes est complètement écarté. » Une énième voix dissonante et dissidente, polyphonique et étayée, pour tenter de vulgariser le caractère profondément anti-social et politiquement suspect de cette fuite en avant planifiée les deux pieds sur l’accélérateur.

 


Février 2025 toujours, la publication de l’étude (non-traduite à ce jour) intitulée « L’impact de l’IA générative sur la pensée critique : auto-déclaration des réductions de l’effort cognitif et des effets sur la confiance en soi d’après une enquête menée auprès de travailleurs des métiers du savoir » par des chercheurs de Microsoft et de la Carnegie-Mellon University (CMU), établissement étasunien depuis longtemps à la pointe de la recherche en matière d’intelligence artificielle, enfonce le clou.
Voici une traduction simplifiée de son résumé (abstract) :
« L’essor de l’IA générative (IAG) dans les flux de travail de la connaissance (enseignement, recherche, production de savoirs) soulève des questions quant à son impact sur les compétences et les pratiques de pensée critique. Nous avons interrogé 319 professionnels du savoir pour déterminer, d’une part, quand et comment ils perçoivent l’intervention de leur pensée critique lorsqu’ils utilisent l’IAG et, d’autre part, quand et pourquoi l’IAG affecte leurs efforts pour le faire.
Les participants ont partagé 936 exemples concrets d’utilisation de l’IAG dans des tâches de travail.
Quantitativement, en tenant compte à la fois des facteurs spécifiques à la tâche et à l’utilisateur, la confiance en soi d’un utilisateur dans la tâche et la confiance en l’IAG s’avèrent prédictives de la mise en œuvre de la pensée critique et de l’effort pour la produire dans les tâches assistées par l’IAG. Plus précisément, une confiance plus élevée dans l’IAG est associée à une pensée moins critique, tandis qu’une confiance en soi plus élevée est associée à une pensée plus critique.
Qualitativement, l’IAG déplace la nature de la pensée critique vers la vérification des informations, l’intégration des réponses et la gestion des tâches.
Nos connaissances révèlent de nouveaux défis et opportunités de conception pour développer des outils d’IAG pour le travail intellectuel. »

Autrement dit, l’utilisation pour des tâches intellectuelles des outils d’IAG entraîne la détérioration – voire l’anesthésie – des facultés cognitives utiles au développement et au maintien de la pensée critique, laquelle est vitale à l’être humain pour pacifier sa vie en société.
Plus simplement encore, le recours systématisé à cette technologie favorise la paresse cérébrale et constitue un sérieux exhausteur de « connerie naturelle » (j’emprunte la formule au « Canard enchaîné » du 19/02/205).

Qu’en est-il pour les individus qui ne sont pas déjà rompus aux tâches intellectuelles élémentaires – lecture et compréhension d’un texte, capacité de synthèse, vérification des informations discutables, élaboration d’une analyse critique, etc. – de plus en plus vitales pour résister à l’appauvrissement culturel généralisé et à la profusion de la désinformation massive organisée ?

 


 

A suivre…

 

 

 

En-tête : extrait du tableau de Jason Allen «Space Opera Theater », récompensé le 29 août 2022 lors de la Colorado State Fair (foire d’art contemporain de l’état du Colorado) par le prix « Arts numériques/Photographie numériquement manipulée » (image générée avec MidJourney, en l’occurrence).

anima