16, 19, 20, 21, 22 et 23 décembre 2016
Quartier des mineurs -Centre pénitentiaire [Caen – 14]
Atelier d’initiation “Passeurs d’images” / PJJ
Le contexte
Les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) interviennent quotidiennement dans les quartiers réservés aux mineurs des centres pénitentiaires.
Ils disposent de créneaux planifiés parallèlement à ceux des services de l’Éducation nationale qui interviennent eux-aussi en prison.
La PJJ s’appuie sur des entités de médiation culturelle extérieures, comme la Maison de l’Image de Normandie (Caen) au sein de laquelle se trouve “Passeurs d’images”, dispositif d’éducation à l’image focalisé en grande partie sur des actions à destination des publics dits “en difficultés” (scolaires, professionnelles, sociales).
C’est le coordinateur bas-normand de “Passeurs d’images”, Thomas Senk, qui m’a demandé d’encadrer une série d’ateliers d’initiation aux principes de bases de l’animation de dessins animés.
Ce n’est pas la première fois que j’interviens en binôme avec lui sur ce type d’atelier. Nos expériences face à des profils de participants et dans des contextes très différents nous permettent, à chaque nouvelle intervention, d’affiner une méthodologie pédagogique dont nous constatons avec satisfaction la pertinence et la réelle efficacité.
Concrètement, il s’agissait ici de six séances de 90 minutes chacune. Six séances, c’est beaucoup et peu à la fois.
Entrer dans le quartier des mineurs – et en sortir – prend un certain temps, aléatoire parfois, en fonction de toutes les contingences de la vie d’un centre pénitentiaire : affluence de visites sur les heures de parloir, procédures de sécurité à la moindre alerte, humeurs des surveillants, humeurs des détenus, …
Les ateliers se déroulent dans une pièce minuscule. Nous y apportons un peu de matériels (PC portable, captation vidéo, tables lumineuses, matériels de dessins).
L’introduction des matériels électroniques en prison ne va pas de soi. Elle peut être interdite soudainement.
Nous commençons avec trois jeunes détenus de 17 ans. L’un partira au bout d’une heure.
Un nouveau sera incarcéré deux jours plus tard et participera à la suite des ateliers.
Les participants sont volontaires. Ils ne savent rien de ce qu’ils vont faire. L’atelier est l’occasion de sortir de leur cellule. La majorité d’entre eux ne dessine jamais.
J’insiste aussi sur le fait que, quelle que soient leurs raisons (et elles sont potentiellement nombreuses), ils n’ont pas nécessairement la tête à faire mumuse avec des petits mickeys.
Une bonne partie du temps d’atelier consiste à les recentrer sur l’activité en cours et, dans le meilleur des cas, à stimuler leur désir d’implication rigoureuse.
Le temps effectif de production est très limité. La mise en route peut être laborieuse, plus ou moins longue, mais au bout du compte, on arrive toujours à tirer du positif d’une opération collective de sensibilisation à une activité créative auprès de personnes qui en sont exclues.
Les objectifs
Nous exploitons dans ce contexte les caractéristiques propres à la technique traditionnelle des dessins animés : appréhension et compréhension des dimensions d’un espace imaginaire, synthèse de mouvement, écriture rudimentaire d’une action, approche des questions de rythme, de timing (dans une moindre mesure), d’impact narratif, de mise en place d’un processus coordonné de travail collectif (ébauche, traçage au propre, coloriage) au sein duquel chaque rôle compte.
Ce processus intègre l’erreur, ponctuelle ou répétée, comme facteur d’auto-discipline et d’auto-amélioration rapide.
L’importante accumulation de dessins produits pèse considérablement dans la satisfaction ressentie par les participants les plus investis. Ces dessins sont volontiers étalés. Leur masse ainsi dévoilée surprend même les encadrants des ateliers !
Les qualités esthétiques et techniques sont secondaires. Sauf cas exceptionnel, les séquences obtenues sont un peu bancales. Mais leur sincérité compense largement leurs faiblesses.
Le déroulement
Quel que soit son contexte, ce type d’atelier nécessite une phase d’approche. Celle-ci est facilitée par le visionnage d’un court métrage amusant et explicite des finalités de la technique abordée par la suite.
Il s’agit aussi de s’apprivoiser mutuellement, d’évaluer – consciemment ou inconsciemment – ce que nous pouvons attendre les uns des autres.
Un premier test d’animation dessiné est réalisé à la fin de la première séance. Nous partons sur le principe simple d’une métamorphose libre à partir d’une forme.
En l’occurrence ici, une lettrine en forme de “$” dessinée par l’un des participants, à ses heures perdues. Une première quantité de dessins, un filmage image-par-image, la prise de conscience des contraintes à venir.
Les jours suivants, nous travaillons à partir des planches – toujours bien pratiques – de Preston Blair. Dessin phase par phase, numérotation stricte, retouche, traçage, coloriage.
Tout le monde met la main à la pâte, éducateurs inclus. Peu à peu, une logique de travail s’installe naturellement. On évalue parfaitement à ce stade les lacunes des participants : s’astreindre par exemple à la reproduction répétée de repères simples peut constituer un écueil infranchissable pour des adolescents très tôt déscolarisés. Or, sans respect de repères basiques, toute animation dessinée est vouée à l’échec. Beaucoup de corrections sont sans cesse nécessaires. Elles font partie de l’encadrement minimal sur une si courte durée et se superposent aux sollicitations croissantes des participants qui gagnent progressivement en autonomie.
L’avancée du projet hors séance, c’est-à-dire en cellule (individuelle, pour les mineurs emprisonnés) est à exclure. Elle n’est envisageable qu’exceptionnellement, suite à une prise de conscience de l’un des détenus. Elle eut lieu cette fois, entre les deux dernières séances chez l’un des jeunes participants.
L’attention et la concentration se relâchent au moindre micro-événement. Ils sont omniprésents dans les seuls moments passés hors des cellules.
Chaque nouvelle séance est l’occasion d’une montée en difficulté très graduelle. De la marche à la course, du saut au vol d’oiseau, vers l’agencement de l’ensemble en un tout cohérent et encadrer par un carton de titre et un carton de fin. Tous deux potentiellement animables.
La dimension narrative s’impose au moment opportun. Que va raconter dans notre petit film ? Quels effets voulons-nous provoquer chez le spectateurs ?
Que l’on s’y tienne ou non, les échanges autour de ces questions sont aussi courts que générateurs de fulgurances surprenantes.
A quelques minutes de la fin de l’avant-dernière séance, l’emballement s’empare des plus motivés. Prise de conscience du temps restant et du travail à accomplir pour atteindre les objectifs, collectifs et individuels, lesquels peuvent être divergents.
On comprend à ce stade si l’atelier a rempli sa mission pédagogique, et accessoirement, s’il a marqué un tant soit peu les esprits.
La dernière séance le confirme : plus longue que toutes les autres (car il n’est plus nécessaire remobiliser qui que ce soit), elle est aussi celle qui s’écoule le plus vite.
Thomas Senk, qui opère sans relâche depuis le premier jours, se voit assailli par l’accumulation de dessins à filmer, rectifiant simultanément les erreurs de calages (merci la “pelure d’oignon” ! Comprend qui peut.).
L’atelier se termine. Aucune rallonge n’est possible. Nous montrons les séquences tournées. Le montage se fera ultérieurement.
Les jeunes détenus recevront le “film” terminé plusieurs semaines plus tard.
Sauf cas exceptionnel, nous ne reverrons jamais ces adolescents.
Distribution des dessins (l’équivalent d’une ramette !) et des photocopies des planches de Preston Blair.
Le détenu le plus impliqué durant toute la semaine me glisse en partant “je n’oublierai pas“.
Conclusion
A ce stade de la lecture, la question que nous entendons régulièrement, dans les médias peu scrupuleux, dans la bouche de politiciens intellectuellement diminués ou malhonnêtes, y compris au sein du personnel des centres pénitencier : “à quoi ça sert de faire ça ?” ne doit plus se poser.
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