J’ai, au bas mot, 36 bonnes raisons de m’enthousiasmer pour le premier long métrage de Sébastien Laudenbach, La jeune fille sans mains, qui sera présenté dans quelques jours en compétition lors du Festival International du Film d’Animation d’Annecy. Je n’ai pas encore visionné cette œuvre et je ne serai pas au bord du lac entre le 13 et le 18 juin (cette année encore, j’ai beaucoup mieux à faire), mais je veux parier qu’il ne laissera pas indifférents les jurés et les publics qui le découvriront. Parmi ces 36 motifs d’excitation, en voici au moins quatre :
1° la convergence des enjeux du projet : une réalisation individuelle résolument anticonformiste, une adaptation débridée d’un conte méconnu, une esthétique picturale « libertaire », une production à taille humaine contrôlée de bout en bout (sans producteur égotique pour court-circuiter le réalisateur le soir à la table de montage, comprends qui peut).
Dans mon fantasme au moins, un film-manifeste.
2° J’apprécie beaucoup les catalogues respectifs de son producteur délégué*, Les Films sauvages (où l’on retrouve quelques anciennes élèves talentueuses de l’ENSAD) et de son distributeur, Shellac, dont le nom est immédiatement évocateur de vociférations syncopées, d’accords de guitare et de rythmiques métallurgiques. Shellac est notamment distributeur de Jasmine d’Alain Ughetto et Is the man who is tall happy ? de Michel Gondry, deux des longs métrages d’animation les plus « libres » de ces dix dernières années.
3° Depuis Journal, son court métrage de fin d’études à l’ENSAD (1997), le cinéma de Sébastien Laudenbach n’a cessé de questionner, avec humilité et sensibilité à fleur de peau, les fondements-mêmes du dessin d’animation. La jeune fille sans mains pourrait bien être une première synthèse, voire apogée, de ces nombreux questionnements. On lira pour s’en convaincre, page 159 de l’excellent ouvrage collectif, « Les expériences du dessin dans le cinéma d’animation » (2016, Éditions de l’Harmattan) :
» […] j’ai entamé seul la réalisation d’un long métrage en dessins animés. […] La jeune fille sans mains est improvisée à partir du canevas du conte éponyme des frères Grimm. Sans scénarimage ni recherches, sans tests d’animation, dessinant directement au propre des images qui sont toutes incomplètes et dérisoires, je raconte cette histoire au film du pinceau, de façon chronologique, guidé tant par le canevas que par les sensations éprouvées lors du travail de l’animation ou des souvenirs, des humeurs, des associations d’idées.
La rapidité d’exécution des dessins me permet de laisser le champ libre à cette dérive, à la surprise aussi. Et de produire dix à quinze secondes d’animation terminée par jour.
Ce sera un film dessiné, mais dans lequel chaque dessin n’existe que par ceux qui l’entourent. Les dessins n’y ont aucune valeur, certains sont même totalement vides. Cette incomplétude n’est pas dans l’air du temps. Mais elle est pour moi nécessaire et salutaire.
4° A l’heure où la sphère médiatique non-mobilisée par le blabla sportif -tennistique, footballistique, cyclistique et jeuzolypistique – couvrira au pied d’un palace, avec complaisance et opportunisme, la filière tricolore et le vedettariat de l’animation mondialisée, en déconsidérant faute de disponibilité le « cœur-révélateur » encore battant du festival, j’aurais une pensée amicale et solidaire pour Sébastien Laudenbach. Lequel s’en fichera royalement, et il aura bien raison.
La sortie nationale du film est annoncée pour le 14 décembre 2016.
> le dossier de presse, la bande-annonce et d’autres infos sur le film
* La jeune fille sans mains est le prolongement d’un projet porté initialement par une autre société, désormais créditée au titre de « coproducteur ».
Voici la retranscription d’un entretien de Sébastien Laudenbach avec Marion Czarny en 2007 pour le programme du Forum des Images :
« En 2000, après avoir réalisé le générique de Laissons Lucie faire, d’Emmanuel Mouret, j’ai rencontré son producteur, David Thion, des Films Pelléas. Il m’a proposé d’adapter une pièce d’Olivier Py, « La jeune fille, le diable et le moulin », d’après un conte de Grimm. La simplicité et la profondeur de son écriture m’ont touché, j’ai aimé le parcours de cette jeune fille qui doit apprendre à s’émanciper : un père vend, malgré lui, sa fille au diable. Cette dernière se lave les mains pour les rendre pures et ainsi se protéger. Le diable ordonne alors au père de lui couper les mains. C’est un vrai parcours initiatique comme souvent dans les films d’animation et comme dans beaucoup de contes.
Le début du travail s’est fait très progressivement, chaque étape étant méthodiquement validée, car le producteur n’avait jamais travaillé sur un film d’animation, et moi jamais sur un long métrage. Tous les dialogues de la pièce ont été conservés, on a développé une dimension épique, le film étant conçu pour un jeune public. La simplicité apparente de l’histoire permettait de faire des choix graphiques assez affirmés dans une certaine économie de moyens. Tout est très dessiné avec beaucoup de motifs, d’arabesques. Les choix graphiques des personnages, des décors, le choix des couleurs vont plutôt dans le sens de la douceur et de la métaphore. Je veux raconter doucement une histoire rude. Au-delà de sa rudesse, la narration provoque une série de réflexions et de métaphores. Je les rattache à mon travail personnel, car tous mes films racontent des histoires profondément humaines : des histoires de plaisir, de désir, de rupture, d’amour. Ce qui peut paraître difficilement exprimable au cinéma (en prise de vues réelles) est plus facilement transposable en animation, car on se détache de la figure humaine et ce sont, par exemple, les couleurs, le rythme qui participent à l’incarnation. […] »
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