La mort de la maman de Bambi, dans le 5e long métrage d’animation produit en 1942 par les studios Disney, est toujours en 2018 le déclencheur d’une prise de conscience brutale pour des millions de très jeunes spectateurs. Les médias du monde entier en ont fait au fil des années un poncif, exagérément qualifié de “traumatisme”. Ce raccourci traduit néanmoins un choc émotionnel que semble avoir assimilé l’inconscient collectif occidental. Au point qu’un juge du Missouri vient de condamner, à compter de ce 23 décembre, un “braconniais” local à 120 jours de prison assortis d’une annulation définitive de son permis de chasse et d’une peine inédite à regarder Bambi une fois par mois. Son crime : avoir zigouillé plusieurs centaines de daims protégés, avec circonstances aggravantes. Le corps décapité des cervidés était en effet abandonné sur place.
Suite à ce verdict insolite, le buzz médiatique international a fonctionné à plein régime – la preuve – et gageons qu’il fera sans doute bien plus pour la cause animale que bon nombre de plaidoyers et autres manifestations anti-chasse systématiquement relégués derrière un électoralisme primaire que même le décès accidentel d’un nombre croissant de promeneurs du dimanche ne suffit pas à éroder. Mais je m’égare.
Pour rappel, le long métrage de Disney est l’adaptation du roman de l’écrivain autrichien Felix Salten “Bambi, histoire d’une vie dans les bois”, publié pour la première fois en 1923. Le récit littéraire accorde une certaine place à la présence humaine que le film d’animation efface presque entièrement. L’homme n’y est plus qu’une menace invisible mais bien réelle : sa négligence provoque le grand incendie final, ses chiens poursuivent les cerfs apeurés, un coup de feu emporte la mère de Bambi.
76 ans plus tard, cette mise à mort suggérée**, généralement considérée par les commentateurs du cinéma disneyen comme une auto-censure prudente, se révèle comme la séquence la plus implacablement violente de toute la filmographie des studios californiens. En supprimant les images “trop explicites” initialement envisagées dans le storyboard du film, l’équipe de production, avec Walt Disney à sa tête, a signé là l’un des plus bouleversants hors-champs cinématographiques de l’histoire du 7e art.
La mort de la biche.
“La séquence dans laquelle on la voit touchée fut retirée car estimée trop explicite.” *
Mais en ce 23 décembre tout particulièrement, un autre renoncement des scénaristes de Bambi, l’abandon de la vision frontale d’un chasseur mort suite à l’incendie dévastateur, mérite d’être éclairée sous un jour nouveau. Car si cette vengeance salvatrice du destin à l’encontre de la bêtise maladive des hommes eut plombé le récit d’une conclusion manichéenne un brin téléphonée, son absence s’avère d’autant plus regrettable aujourd’hui que la punition prononcée à l’encontre du serial-décapiteur du Missouri eut été un peu plus pénible à endurer, sinon plus pédagogique.
La mort du chasseur, dessin de Mel Shaw extrait du storyboard initial de Bambi
“[Cette séquence] fut retirée du film. L’impact de l’incendie sur la vie des cerfs primait dans notre scénario.” *
On pourra un tant soit peu rassurer et accessoirement stimuler la conscience écologique des petits nenfants traumatisés par la disparition de la maman de Bambi en leur montrant ce court métrage sarcastique, sorti en janvier 1955 et signé Jack Hannah. La biche y fait une réapparition remarquée aux côtés de son petit faon.
Pour les plus grands, je recommande fortement le superbe et néanmoins nihiliste long métrage animé de Martin Rosen, The plague dogs, réalisé en 1982.
La séquence montrant l’un des deux chiens en fuite tuer involontairement un chasseur, dont le corps finira dévoré par les animaux sauvages, est à ma connaissance la plus cyniquement radicale jamais mise en scène dans un film de dessins animés.
* Citations extraites du livre de Ollie Johnston et Franck Thomas, “The Disney Villain”
** La violence la plus extrême suggérée “hors champ” est généralement bien plus impressionnante que la violence exposée frontalement aux yeux du spectateur. Les grands maîtres du films d’horreur ont compris cela très tôt.
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