On ne prête pas assez attention à la communication du Mouvement des entreprises de France !
Celle-ci a pourtant largement contaminé toutes les strates de la société civile et réorienté les regards, de l’essentiel vers le superficiel.
Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les différents documents diffusés par le syndicat minoritaire patronal lors de ses raouts publics aux discours formatés à l’extrême de la grande majorité des décideurs politiques (élus locaux et territoriaux, représentants de corporations entrepreneuriales, opérateurs économiques divers) et médias d’information, médias publics compris. On réalise alors que les mêmes éléments de langage galvaudés, inversés, dissimulés derrière des anglicismes abscons et/ou détournés de leur contexte initial, sont répétés à l’envi, presque mot pour mot, consciemment ou non.
Mécaniquement, ce vocabulaire, et les raisonnements à l’emporte-pièce qui vont avec, s’infiltrent dans la pensée collective, du monde associatif à l’enseignement, de la rue à la cour de récré.
A l’occasion de la 18e université d’été du Medef (30-31 août 2016), une quantité importante de supports de communication a été distribuée dans des proportions spectaculaires, bien au-delà du campus HEC de Jouy-en-Josas où la manifestation avait lieu. Remarquablement conçus (travail graphique sérieux, impressions soignées, data-visualisations simplifiées à tous les étages, multiplicité des supports), émanant d’un déploiement de moyens financiers très en-dessus de la moyenne, ces objets publicitaires méritent qu’on s’y attarde pour leur subtile perversité.
Examinons par exemple l’un de ces supports à caractère clairement ludo-pédagogique.
Il s’agit d’un jeu des 7 familles, intitulé « 7 défis pour faire gagner la France », à horizon 2020, est-il précisé par ailleurs.
Comme tous les jeux des 7 familles, il est composé de 42 cartes et divisé en 7 catégories respectivement nommées « Audace créatrice », « Épanouissement des femmes et des hommes », « Numérique », « Filières d’avenir », « Europe », « Mondialisation », « Développement durable ».
S’y ajoutent deux cartes supplémentaires : l’une présente la raison d’être de ces « défis », l’autre rappelle les règles du jeu. La première est donc adressée aux capitaines d’entreprises psycho-rigides, la seconde aux néo-starteupeurs attardés mentaux.
Sur les 42 cartes de ce jeu, représentant en soi une éloquente vision court-termiste du monde, les mots « culture », « art », « patrimoine », n’apparaissent jamais. J’insiste : jamais !
La notion même de culture ou de ses innombrables corolaires n’est induite que sur deux cartes uniquement, et de manière suffisamment indirecte pour que la dimension culturelle soit totalement déconnectée des secteurs d’activités invoqués. Bien que la Culture, avec un grand « C », en constitue pourtant le cœur. C’est bien sûr tout sauf un malheureux hasard.
Voici les deux cartes en question :
On ne s’étonne plus de la banale aberration que constitue la négation de la culture dans le secteur économique du tourisme. Ce dernier subit une sérieuse crise, depuis les attentats de janvier 2015, crise sur laquelle les lobbyistes les plus actifs ne manquent pas de larmoyer en invoquant les « manques à gagner » et les « appels à l’aide » (publique) en faveur de ses différentes ramifications (hôtellerie, commerce, promotion, …) en niant l’une des équations sans laquelle pourtant le tourisme n’existerait quasiment pas :
Culture = création = patrimoine = attractivité territoriale = tourisme = retombées économiques transversales + rayonnement international.
D’aucuns grincheux poussent le bouchon jusqu’à ajouter que le déficit d’éducation, de formation et de sensibilité à la Culture (aux Cultures !) favorise le repli identitaire et la haine, lesquels nuisent accessoirement à l’image de marque du pays et de ses territoires. Mais de quoi se mêlent ces enquiquineurs, d’abord ?
Attardons-nous un peu plus sur la carte « cinéma d’animation ». Elle interroge à bien des égards.
Par quelle intuition miraculeuse, le Medef se pose-t-il soudain en promoteur de l’image animée ?
Le Syndicat des Producteurs de Films d’Animation aurait-il pris du galon au sein du lobby patronal ?
L’entièreté de la production audiovisuelle nationale n’est-elle pas désormais régie par les enjeux du « numérique » ?
Et le cinéma d’animation, n’est-il seulement lisible que par le prisme des technologies digitales ?
Le palmarès simpliste, ici repris par le Medef, est un argument que les observateurs du secteur de l’image animée connaissent par cœur depuis près de 20 ans, c’est-à-dire depuis les premiers résultats concrets du Plan Lang (une dizaine d’années après son lancement en 1983), qui aura indéniablement impulsé l’émergence de la filière économique de l’animation française.
Une filière économique, cependant majoritairement propulsée par la production industrielle de séries tv pour la jeunesse. Filière taylorisée et mondialisée, reposant sur une sous-traitance importante de sa main d’œuvre d’exécution dans des états « mollement démocratiques » d’Extrême-Orient.
Mais qu’importe les nuances, le cinéma d’animation serait devenu l’un des emblèmes de la French Touch compétitive et innovante. Et c’est bien là l’essentiel !
Mieux, il constituerait donc, selon le « porte-voix des entreprises« , l’unique secteur culturel et artistique – car oui, à la source de cette industrie, il y a bel et bien, et il y aura toujours, la Culture et l’Art – digne d’être cité dans une campagne de marketing offensif « pour faire gagner la France« .
Ben quoi, vous ne sautez pas de joie ?
Alors voici pour vous dérider, le succulent laïus figurant sur la carte de présentation du jeu.
Les éléments surlignés en bleu sont deux beaux spécimens de rhétorique de la propagande qui mériteraient d’être questionnés, débattus et surtout contre-argumentés plus souvent.
« Relevez le défi !
Nous avons tous* – entrepreneurs, décideurs politiques, forces vives, grand public – une part de responsabilité dans la situation économique, sociale et internationale de notre pays.
A partir de la vison que le projet France 2020 a permis de faire émerger, le MEDEF – porte-voix des entreprises** – a engagé un grand chantier qui répond aux principaux défis auxquels la France doit faire face à horizon 2020 : [sont listées ici les 7 familles citées plus haut, ndr]
Ces défis sont autant d’opportunités pour notre pays, notre économie et nos entreprises, à condition de savoir les décrypter***, les comprendre et les accepter. Le monde change sous nos yeux, adaptons-nous aux transformations à l’œuvre aujourd’hui pour que ces défis deviennent des relais de croissance et des sources d’emploi****, et pour que LA FRANCE GAGNE EN 2020.
Nous en avons largement les atouts !«
* C’est très discutable !
** Quelles entreprises ? Le Medef compte environ 200 000 entreprises-membres, quand plus de 3 millions d’établissements sont recensées sur tout le territoire, hors entreprises agricoles.
*** Les décrypter ou les détourner ?
**** Pour le tourisme et le cinéma d’animation, en l’occurrence, n’était-ce pas déjà le cas ?
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