Les automates de Jaquet-Droz

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L’art des automates, qui relève d’abord de l’artisanat horloger, peut-il entrer dans le corpus des sources du cinéma d’animation moderne ? Je ne me risquerais pas à l’affirmer, sous peine de réactiver le débat stérile qui anima jadis les marionnettistes « animatroniciens » et les animateurs réac’ (Dark Crystal est-il un film d’animation alors que ce long métrage n’a pas été filmé image-par-image ?), voire de soulever le serpent de mer de l’impossible définition du cinéma d’animation (images ou mouvements animés ?).
Néanmoins, il me semble pertinent d’examiner le cas du trio d’automates fabriqué par l’horloger suisse Pierre Jaquet-Groz entre 1768 et 1774. Chefs d’œuvre de la préhistoire robotique, « Le dessinateur », « La musicienne » et « L’écrivain » disposent de mécanismes « programmables » permettant de modifier leurs actions. Ce dernier, fort de ses 6 000 pièces et de son jeu de caractères interchangeables ouvrait déjà un champ de possibles qui demeure aujourd’hui à peine croyable. De par cette particularité, il se singularise de ses deux « acolytes » en octroyant à son manipulateur potentiel la liberté de modifier à loisir – ou presque – le texte que l’automate peut inscrire avec une dextérité presque humaine sur le morceau de papier qui lui est présenté.
Précisons, d’ailleurs, que ces trois machines fonctionnent toujours à merveille après 240 années d’existence, n’en déplaisent aux chantres de l’obsolescence programmée !

Ainsi, ces êtres mécaniques sont-ils potentiellement « animables », c’est à dire « filmables » devant une caméra pour accomplir des mouvements pré-établis mais variables. N’est-ce pas une transcendance du jeu optique ? Ces inventions visionnaires préfigurent-elles pas les machines de calcul automatisé, arrière-grands-parents des ordinateurs personnels ?
Je vous laisse vous faire votre propre opinion.

De manière plus anecdotique encore, les spectateurs avisés pourront peut-être voir dans l’inquiétante fixité du regard des automates de Pierre Jaquet-Droz une certaine résonance avec plusieurs plans de la Rue des Crocodiles des frères Quay. Outre, l’accointance formelle, un écho à l’œuvre littéraire adaptée par les frères Quay s’impose. La Rue des crocodile s’inspire librement d’une nouvelle de l’artiste polonais Bruno Schulz (elle figure dans le recueil « Les boutiques de cannelle »), lequel n’aura cessé dans ses œuvres de tisser des relations brouillées entre réalité et fantastique, réalisme et fantasme.

La créature animée de Jaquet-Droz, chargée de toute la poésie cinétique profondément « surréaliste » ne dégage-t-elle pas la même ambivalence ? Sinon l’un des chaînons de la longue histoire de l’anthropomorphisme mouvant, des avatars semi-autonomes ou semi-vivants, façonnés par l’homme-démiurge, à son image.

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