Longtemps interprété, par un public occidental ignorant, comme une sorte de complexe généralisé à toute la culture populaire japonaise, laquelle jalouserait la physionomie oculaire non-asiatique, le motif des yeux disproportionnés pervertit encore bien souvent la juste appréciation d’une production figurative et narrative inégalement diversifiée.
Il faut admettre que l’outrance sans limite constatée, focalisée sur ce seul aspect anecdotique, peut prêter à confusion pour peu que l’on pêche par ethnocentrisme congénital (ce qui reste le propre du raccourci médiatique de petit calibre).
Bien que les figures androgynes peintes par l’artiste tokyoïte Korehiko Hino explorent bien d’autres champs de questionnement, je me plais à relever particulièrement dans la fixité inexpressive de ses êtres sidérés un véritable pied-de-nez aux poncifs évoqués ci-dessus, poncifs auxquels les « instrumentalisateurs » (publicitaires, mangaka et character designers sans talent, fanatiques béats, …) de la sous-culture abusent par facilité.
Figer ses figures adulescentes faussement hébétées dans une expressivité néoténique (empruntant aux disproportions du visage d’un enfant dont les globes oculaires atteignent leur taille définitive vers 3 ans) est à plusieurs égards porteur de sens très profond et, paradoxalement, géniteur de mouvements inattendus. En effet, dans ces regards aussi troublants que profonds, circulent et s’entrechoquent toutes les contradictions du monde. L’acuité exagérée du sujet immobilisée face au grouillement, « stupéfixée » par le bruit de fond, est une métaphore même de l’artiste.