L’industrie machiste de l’animation

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S’il fallait comparer l’industrie internationale de l’animation à un pays, celle-ci serait plus proche de l’Arabie Saoudite que de la Norvège.
Aux États-Unis, les représentantes de la corporation contestent de plus en plus ostensiblement leur sous-représentativité managériale à l’aune du sévère constat d’une deuxième année consécutive au cours de laquelle aucune femme ne s’est retrouvée à la direction d’un long métrage, dans aucune des quatre grandes multinationales qui trustent le secteur et au-delà.
Au Japon, la question se posent-elle seulement, dans un marché presque exclusivement monopolisé par les hommes sur les postes de direction et de création ? Le court métrage d’auteur faisant exception remarquable, mais ça, tout le monde s’en fout car ça ne fait pas vendre de produits dérivés pour fétichiste compulsif.
En Europe ? Pas de quoi pavoiser non plus.
Et en France, pays des droits du mâle dominant donneur de leçons ?
Combien de longs métrages animés sortis depuis Persépolis (2007 !) auront été signés ou cosignés par une femme ?

La réponse est d’autant plus navrante qu’elle ne reflètent pas du tout la représentativité féminine dans les écoles spécialisées et les unités de production.
Je répète souvent dans mes interventions publiques que le plus gros défaut de l’animation française est son adoption inconditionnelle d’un modèle de production rétrograde, sinon obsolète, et je peux aisément reconnaître que ce jugement est provocateur, voire exagéré parfois. Mais les statistiques, froides et incontestables, sont là pour conforter cette opinion, au moins dans son aspect strictement sociétal.
La talentueuse Florence Miailhe réalise en ce moment même son premier long métrage, La traversée, sur un scénario coécrit avec sa complice de longue date, l’écrivaine Marie Desplechin.
Difficile à financer, difficile à terminer, ce film s’annonce de par son sujet et son parti pris esthétique, une pépite d’or qui ne sera pourtant vues en salles que par une poignée de spectateurs avisés. Ce pronostic désabusé, et malheureusement assez réaliste, n’est pas complètement déconnecté de la quasi-absence du point de vue féminin à la direction de longs métrages, d’animation en l’occurrence.

Quels peuvent bien être les freins, officiels et officieux, à un équilibre paritaire dans le monde de bisounours de l’animation ? Ce milieu sclérosé par le consensus où les célébrations entre-soi chassent les plans promotionnels infantilisants et les sorties en salle qui peinent à mobiliser les publics, faute d’audace créative, de remise en question de leur modèle économique et, pourquoi pas, de leur modèle social, qu’on l’accepte ou non, ouvertement sexiste.
Le blog new-yorkais « Cartoon Brew » se fait l’écho régulier de cette anomalie de civilisation et apporte dans le récent article de son rédacteur en chef, Amid Amidi, quelques pistes de réflexion en évoquant, par exemple, l’orientation implicitement forcée des jeunes femmes de CalArts (école d’art fondée par Disney) vers les postes de design graphique plutôt que vers les postes d’écriture et de réalisation. Ou encore, l’éloquente assignation à façonner des récits de jeunes princesses adolescentes en phase d’émancipation à des sexagénaires barbus proches de la retraite.
Est-ce si différent dans l’hexagone où l’hémicycle parlementaire tolère encore les caquètements masculins lors de prises de paroles de députées plus militantes que les autres ?

On précisera aux lecteurs de ce blog les plus conservateurs – y’en a forcément, ne vous cachez pas ! – qu’une commission gouvernementale étasunienne s’est d’ailleurs saisie de la question en septembre dernier dans une enquête en cours étendue à toute l’industrie du cinéma. Preuve, s’il en fallait une, que cette tâche profondément incrustée dans l’image des pays prétendus démocratiques est tout sauf anecdotique et qu’il faudra bien un jour prochain la récurer à grands coups de détergents civiques.

Lire aussi (en anglais) sur Cartoon Brew et ailleurs :
Exploser le « club des mecs »
Le tonton-réac-Disney bashing de Meryl Streep
Le premier symposium dédié aux préjugés sexistes à CalArts

Crédits de l’image d’en-tête : Galatée et Acis changés en fleuve de Florence Miailhe – Les Films de l’Arlequin / Vivement Lundi / La Fabrique Production France/2013

 

Addendum (décembre 2021)
Sept ans après la rédaction du présent article, je me suis livré à un petit bilan statistique des longs métrages réalisé ou co-réalisés par des femmes dans toute l’histoire du cinéma mondial. Sans surprise, le résultat est édifiant.

 

 

 

 

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