Nouvelles perspectives

 

D’après José Iriarte, professeur d’archéologie à l’Université d’Exeter (GB) et spécialiste de l’histoire de l’Amazonie pré-Colombienne, « plusieurs générations seront nécessaires pour documenter » précisément le fabuleux ensemble de peintures rupestres de la colline de « Cerro Azul », située au sud de la Colombie (parc national de la Serranía de Chiribiquete), au cœur de la forêt amazonienne, dans une zone protégée à forts reliefs géologiques et richissime en biodiversité, où circulent accessoirement les Forces armées révolutionnaires colombiennes (Farc). Ce qui ajoute à la difficulté d’étudier et, peut-être un jour, de valoriser un patrimoine artistique dont l’amplitude reste actuellement impossible à évaluer.

On sait peu de choses pour l’instant de ces peintures préhistoriques amazoniennes.
Elles dateraient de la période des premières occupations du continent sud-américain par l’humanité, il y a 12 500 ans.
Leur état de conservation, proprement stupéfiant, est dû à la manganèse utilisée majoritairement pour leur réalisation.
Elles sont à la fois figuratives (animaux, humains, végétations, scènes d’actions, empreintes) et abstraites (informes, géométriques, décoratives, symboliques, indéchiffrables).
De nombreuses espèces animales, dont certaines ont disparues, y sont représentées.
On trouve ces peintures – pour l’instant – sur des parois extérieures de plusieurs mètres de hauteur (jusqu’à onze mètres). S’il faut aujourd’hui des drones pour les examiner, les artistes qui les ont exécutées auraient fabriqué d’immenses « échafaudages » pour offrir leurs créations aux regards lointains.
Rien que sur le site de « Cerro Azul » en Serranía de la Linda – objet du documentaire de Channel 4 qui fait le buzz planétaire actuellement – on estime le nombre de peintures individuelles à plus de 100 000.
Ces immenses fresques auraient été découvertes voilà plus de 30 ans. Il est néanmoins probable que l’explorateur français, Alain Gheerbrant, y faisait référence dans ses récits dès 1948, en évoquant une «falaise d’un blanc éclatant» où «des animaux, des hommes et des singes rouges se chevauch[ent] en un palimpseste de danses immobiles» (*source).
Les archéologues et fonctionnaires colombiens en charge de l’étude et de la préservation du site s’accordent sur le fait que cette nouvelle « Chapelle Sixtine préhistorique » n’est qu’une infime partie du corpus d’œuvres pariétales encore à découvrir sur les 20 000 hectares que compte le seul territoire de Serrenía de la Linda, lui-même situé au cœur des 2 millions d’hectares du parc national de la Chiribiquete. Autrement dit, on n’effleure que la surface d’une production graphique incommensurable dont la compréhension progressive ne pourra que bouleverser l’Histoire de l’humanité, sinon l’Histoire de l’art, dans les décennies à venir.

Colline de Cerro Azul – Serrenía de la Linda – Colombie

 

A l’aune de l’Histoire de la narration visuelle, il est encore trop tôt pour tirer quelconque conclusion définitive.
Sur la seule base des photographies et vidéos accessibles, on peut néanmoins dresser quelques constatations relativement indiscutables.
• De nombreuses représentations dynamiques sont présentes dans les fresques mises à jour. Des animaux et des humaines sont figurés dans des positions en mouvement.
• Des scènes de chasse ou de probables cérémonies font état d’une composition minimale mais soigneusement pensée pour être comprise par leurs « spectateurs ».
• L’accumulation jusqu’à la surenchère de dessins, la concomitance de représentations naturalistes et de signes au moins partiellement langagiers, portent une valeur documentaire encore mystérieuse mais quasi-certaine. Il ne s’agissait pas pour les « artistes » uniquement de raconter des faits mais aussi de les consigner avec une certaine objectivité, aux yeux des publics auxquels ces images-langage s’adressaient à l’époque de leur exécution et, peut-être, qui sait, à une certaine postérité.
• Les personnages ou les scènes qui ont résisté aux millénaires transmettent des idées et des émotions. Le propre du récit visuel.

Plus discutable :
• les zones les plus basses – à portée d’individus lambda – des fresques les plus importantes montrent des superpositions surchargées à l’excès. Notre regard contemporain les associe à la démarche des graffeurs urbains qui impriment leur marque sur leur environnement et signent un territoire, en supplantant les traces de leurs prédécesseurs. La présence d’innombrables empreintes de mains sur les fresques primitives abonde dans ce sens. Cependant, on rappellera qu’une hypothèse, de mon point de vue de pédagogue, plus séduisante, gagne en crédibilité chez les historiens de la préhistoire contemporains, celle de la transmission de savoir et de l’apprentissage.
En d’autres termes, les parois peintes auraient pu servir d’espace d’initiation, d’entraînement et d’expérimentation pour des œuvres de facture plus élaborée.
• Si la beauté écrasante des fresques de la Chapelle Sixtine relève d’intentions volontaires et mégalomaniaques, les fresques primitives en général et celle de Cerro Azul en particulier, exécutées sur plusieurs générations par des individus différents ne semblent pas être des représentations réservées à une élite.
• Certaines dessins, figuratifs ou symboliques, font d’ores et déjà le lien avec d’autres œuvres, préhistoriques ou plus récentes, présentes sur le continent sud-américain. On pense aux pétroglyphes des civilisations pré-colombiennes (dont certains motifs ont perduré jusque dans l’iconographie incas au 16e siècle de notre ère) et, en particulier, au géoglyphes des Nazca (Pérou).

 

 


A gauche, un oiseau de grande envergure peint sur une falaise colombienne.
A droite, le « condor » géant du plateau péruvien de Nazca.

 

Crédits photographiques : © Tous droits réservés
* Article d’Anne Proenza, Le Temps, janvier 2019

 

 

anima