Le palmarès du Festival International du Film d’Animation d’Annecy demeure le meilleur indicateur annuel de l’état de santé de la création animée mondiale contemporaine.
Celle-ci, est-il besoin de le répéter, évolue inexorablement vers toujours plus d’hybridation technique – essence-même du cinéma d’animation depuis ses origines – vers toujours plus de transversalités avec les secteurs d’activités consanguins des effets visuels numériques, des contenus ludo-interactifs et immersifs.
Sur le plan économique strictement français, ce ne sont manifestement pas les chiffres en trompe-l’œil du CNC, publiés jeudi dernier en plein Marché International du Film d’Animation, qui pourront atténuer les inquiétudes grandissantes des professionnel·le·s, et surtout des futur·e·s professionnel·le·s, quant à l’avenir à court et moyen termes du modèle industriel dominant. En effet, les incidences de la contamination inéluctable de l’IA générative du moindre pipeline de production ne sont pas encore quantifiables sur le volet « emploi » de l’écosystème français. Ce dernier demeurant largement protégé et stimulé par les mécanismes de soutien public au cinéma et à l’audiovisuel, on allume des cierges pour une reprise avant 2027…
Sur le plan artistique, ce palmarès ne dégage aucune tendance franche, sinon, peut-être, en grattant un peu le vernis, une sur-représentation des productions/coproductions françaises aux partis pris esthétiques et narratifs « à contre-courant ». Les amoureux de l’art animé s’en réjouissent ; les producteurs de divertissement familial sans aspérité ni témérité un peu moins.
Côté « courts »
Pas moins de trois prix pour Les bottes de la nuit de Pierre-Luc Granjon couronnent le talent et l’audace d’un cinéaste touche-à-tout, dont l’univers se déploie désormais aussi sur l’écran d’épingles. Bien que peu sensible à la narration maniériste et bon enfant qui caractérise les réalisations de Pierre-Luc Granjon, je dois reconnaître que sa maîtrise du fascinant outil inventé en France par Alexandre Alexeieff au début des années 1930, est proprement impressionnante.
A toutes fins utiles, je recommande d’ailleurs aux audacieux exploitants qui souhaiteraient programmer ce conte fantastique de 12 mn, de le faire en complément du documentaire de Brice Vincent, Pourquoi l’écran d’épingles ?, qui relate notamment l’opération de réhabilitation culturelle initiée par le service Patrimoine du CNC qui a permis que ces Bottes de la nuit existent.
NB : ce documentaire est visible en ligne ici (depuis le 29 juin 2025) mais c’est toujours mieux dans une salle de cinéma.
Autre clin d’œil à une figure tutélaire de l’Histoire du cinéma d’animation avant-gardiste russo-français, Les bêtes (titre original en français) de Michael Granberry, récompensé par le prix du jury, met en scène une spectaculaire collection de ciné-marionnettes, non-utilisées et issues de tournages avortés, dans un hommage assumé et quelque peu démonstratif à l’art et à la manière de Ladislas Starewitch. Presque seul et sur tous les postes, guidé par la nostalgie de l’authenticité des pionniers et des techniques originelles, non-numériques et imparfaites, Michael Granberry a poussé le curseur surréaliste de son illustre prédécesseur jusqu’au récit horrifique. Lequel, comme on le sait aux États-Unis depuis The Sandman (entre autres), se marie à merveille avec l’animation stop-motion.
Longs au large
Le pompom revient donc à l’utopie optimiste Arco, dirigée par le dessinateur Ugo Bienvenu. Son exploitation en octobre prochain se présente par conséquent sous les meilleurs auspices car cette prestigieuse caution annécienne vient s’ajouter à la relative unanimité critique cannoise entendue/observée voilà deux semaines. Ne reste plus qu’à trouver l’angle de communication pour attirer les parents du chaland pré-pubère et ce film pourrait un tant soit peu réchauffer l’automne 2025.
La musique d’Arco, signée par Arnaud Toulon, est aussi récompensée par le prix SACEM.
ChaO de Yasuhiro Aoki obtient le prix du jury. Cette nouvelle histoire d’amour entre une « sirène » métamorphe et un humain, issue laborieusement du mythique studio japonais 4°C, connaîtra une sortie en salles françaises, peut-être avant la fin de l’année 2025. Et Rebecca Manzoni en dira alors quelques mots élogieux dans le Masque et la Plume, entre deux pauses-clope.
La « petite merveille » Télérama-compatible, Amélie et la métaphysique des tubes, réalisée par Mailys Vallade et Liane-Cho Han, récolte sans surprise le prix du public.
Le film déboulera sur les écrans de cinéma ce 25 juin. Il aura le succès d’estime qu’on lui souhaite sincèrement ; la période lui est favorable et le besoin de « poésie et de tendresse » jamais superflu. Il finira de rentabiliser son budget de production dans deux ans grâce au dispositif d’éducation à l’image « École & Cinéma ». La recette est bien rodée maintenant. Suivant !
Le prix Paul Grimault échoue à Planètes de Momoko Seto et une mention spéciale du jury récompense la musique de Jean L’Appeau pour La mort n’existe pas de Félix Dufour-Laperrière.
Deux « lots de consolation » pour Miyu (trois, en ajoutant le clip mentionné plus bas) qui avait pourtant aligné cette année un nombre important de sérieux compétiteur·euses dans les catégories-reines du FIFA.
C’est pourtant connu : « qui s’obstine à produire des œuvres exigeantes et novatrices pour les cinéphiles animavores, récolte peu de pépettes ». :)
Enfin, on notera le retour en Normandie d’un Sylvain Chomet bredouille. La nouvelle ne surprendra que les commentateurs et critiques sourds aux remontées très sévères des exploitants de salles qui ont découvert à Cannes (je cite sans joie différentes sources convergentes) son « hagiographie vieille France » de Marcel Pagnol. La stratégie de son puissant producteur et de son puissant distributeur se complique à peu près autant qu’elle gène aux entournures les programmateurs de salles « art et essai » tiraillés par le dilemme qui se présente déjà à eux dans la perspective des prochaines vacances la Toussaint. Le monde de Barbapapa n’est décidément plus ce qu’il était ;) !
Télé-commande
N’ayant visionné que très peu d’œuvres de cette catégorie, je relèverais juste le prix largement mérité attribué à Lola Lefèvre pour son formidable vidéo-clip Yé Kou Si Kuo.
Je me sentais jusqu’ici un peu seul depuis le printemps 2024 en enthousiaste supporter de la vulgarité pétaradante, festive, queer et donc jubilatoire de ce feu-d’artifice-de-couleurs-qui-fait-un-bien-fou. Le jury du FIFA atténue cette solitude en saluant à son tour un talent anti-conformiste et un esprit libertaire dont on espère, sans trop y croire, qu’il fera beaucoup, beaucoup d’émules, dans les années à venir. Il semblerait que Lola Lefevre développe l’univers bigarré de Yé Kou Si Kuo sur un format plus long. Excellente nouvelle !
Faim d’études ?
La technique au service de la forme est une chose. Le fond au service de l’art en est une autre.
Ah, si seulement tous les bataillons d’étudiant·e·s, formé·e·s dans l’une des innombrables écoles spécialisées et privé.e.s du bagage culturel/artistique minimal, lacune qui les condamne à l’uniformisation caricaturale, s’intéressaient un peu plus aux œuvres animées produites en écoles d’art ! A l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, en l’occurrence, puisque que c’est la seule en France à proposer un cursus solide en animation, ils·elles auraient un peu moins peur d’être grand-remplacé·e·s par des IAG !
Bravo à Léna Martinez pour son Zootrope, que j’ai hâte de montrer sur grand écran !
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