Péril en la demeure

 

 

Les dispositifs scolaires d’éducation à l’image – “École & Cinéma”, “Collège au cinéma” et “Lycéens et apprentis au cinéma” – que le monde nous envie, n’ont jamais été aussi menacés.
Après un énième coup de canif porté par l”inepte-et-totalement-déconnectée-des-réalités-du-terrain-“réforme-globale-du-choc-des-savoirs*”, laquelle aura été imposée aux forceps par un éphémère ministre de l’Éducation nationale parfaitement représentatif de l’ignorance crasse des décideurs politiques quant à l’utilité publique de l’éducation à l’image (qui est aussi et surtout de l’éducation aux médias, soit dit en passant) ; après l’annonce récente de l’arrêt du dispositif “Collège au cinéma” dans le département du Nord, pour des raisons comptables au motif idiot que les adolescents ainsi confrontés annuellement, au mieux, à trois œuvres cinématographiques de qualité en salle de cinéma (expérience collective qu’ils seront une bonne partie à ne pas renouveler durant toute leur vie) peuvent bien compter sur leurs parents pour les éduquer au cinéma ; après la constitution encore plus récente d’un nouveau gouvernement de réac’ tétanisé avant même le début de son plein exercice à la perspective d’être censuré par un parti encore plus réac’ pour lequel le service public de la Culture émancipatrice est une menace majeure, l’avenir de ces “gadgets wokistes” (;) vieux de plus de trois décennies n’a jamais été aussi improbable.

Ce contexte posé, n’est-il pas aussi grand temps de moderniser le fond-même de ces opérations pédagogiques en les rendant plus transversales, plus hybrides, plus en phase avec les habitudes de consommation d’images des adolescents et avec les types de contenus dont ils raffolent, comme leurs parents d’ailleurs ? Et ce, accessoirement, afin d’en rendre plus lisible l’utilité sociétale aux élus territoriaux et à leurs subordonnés bureaucrates à l’esprit étriqué.
En décembre 2020, je me permettais humblement de suggérer – à la lumière d’une expérience d’un quart de siècle dans ce domaine – quelques pistes de dépoussiérage, partagées depuis une bonne décennie déjà avec pléthore de mes coreligionnaires frustrés d’avoir encore, au 21e siècle, à discriminer toutes les formes de récits audiovisuels (séries, jeux vidéos, web création en particulier) du grand et noble Cinéma avec un grand “C”. Car dans cette distinction élitiste, au sens où elle émane d’élites culturelles et institutionnelles prescriptrices, persuadées de la supériorité artistique du cinéma sur les autres arts audio-visuels, réside la principale cause de la fragilité toujours plus prégnante des dispositifs d’éducation à l’image.

Parallèlement, il me paraît important de répéter l’intérêt économique de ces dispositifs pour la production cinématographique française. Laquelle a aussi une part de responsabilité dans la priorisation des œuvres cinématographiques dans le cadre de ces opérations, voulues et assumées depuis leurs débuts par leurs créateurs comme (je cite) des “dispositifs d’éducation au Cinéma” à une époque où les contenus télévisuels étaient encore plus méprisées qu’aujourd’hui, où les jeux vidéos n’étaient même pas un sujet culturel et où l’Internet généralisé naissait à peine.
En effet, quantité de longs métrages inscrits au programme des trois dispositifs scolaires existants – et le constat suivant est criant pour la catégorie des films d’animation – ont été des échecs commerciaux lors de leur exploitation en salles et ont été plus ou moins rentabilisés grâce aux entrées générées par les séances scolaires inhérentes aux dispositifs. Vous suivez ?
Considérant cette “seconde vie” des films en salles, films souvent excellents mais constituant des propositions artistiques exigeantes qui ne pèsent pas lourd face aux divertissements faciles, contentant à la fois les producteurs et les exploitants, on comprend aisément l’omerta pudique de ces derniers sur les véritables leviers susceptibles d’enrayer la dégradation d’une situation dangereusement figée à demeure.

 

* pour vous faire une idée de l’ampleur du désastre

Image d’en-tête : extrait du jeu vidéo Inside de Playdead

Addendum 3 octobre 2024 : la chronique de Marie Sorbier sur France Culture évoque aujourd’hui le sujet, en donnant la parole à un enseignant.
C’est appréciable mais il faudra un jour comprendre et assimiler que l’argument de l’éveil à la cinéphilie n’est plus du tout opérant auprès du personnel politique. Ni les enseignants volontaires qui participent aux dispositifs d’éducation à l’image n’ont conscience de l’intérêt économique de ces derniers pour la production de films et du caractère éminemment hybridé de la création cinématographique actuelle. Lequel permet, lorsque l’on ouvre avec bienveillance ses œillères de cinéphile aux médias connexes de diffusion de contenus culturels, d’envisager plus largement l’éducation aux images comme une nécessité plus vitale, accessoirement susceptible de stimuler l’expérience du cinéma en salles.

anima