« Le cinéma d’animation n’est pas un cinéma de la périphérie mais bien une autre manière de faire du cinéma. »
Ainsi se termine le communiqué de presse, publié le 16 mai dernier par les producteurs et productrices français d’animation, représentés par AnimFrance (syndicat des producteurs français de films d’animation) et le Syndicat des Producteurs Indépendants (SPI), pour râler mollement, ou diplomatiquement c’est selon, « dans une démarche constructive », contre l’absence de longs métrages d’animation dans toutes les compétions officielles de la 76e édition du Festival de Cannes.
Sans prétendre détenir le remède miracle à la déconsidération de la création animée dans son ensemble dans les sphères culturelles et dans leurs émanations médiatico-événementielles, je me demande si tous ces couinements répétées annuellement, aux Césars et à Cannes, depuis des lustres, ne reviennent pas à pisser dans un violon en espérant en extraire de la musique.
S’attaque-t-on seulement aux véritables causes du problème ?
En voici au moins cinq, peu connues des publics et débattues rarement, sinon jamais :
1° Regardons d’abord la composition (ou la sociologie) des comités de sélection et des jurys du festival de Cannes. Croisons-là avec la composition (ou avec la sociologie) des commissions – nationales et régionales – de soutien au cinéma et à l’audiovisuel. Superposons les résultats sur la composition (ou sur la sociologie) des journalistes/critiques spécialisés – il paraît que ça existe – dans la création cinématographique et audiovisuelle en France. Nous n’y trouvons qu’une écrasante majorité de profils professionnels sans liens ni connaissances, même lointaines, de ce que sont vraiment les spécificités et les enjeux artistiques du “cinéma d’animation“.
2° Observons ensuite la manière particulièrement désintéressée et/ou dénuée d’analyse de fond, avec laquelle les médias – spécialisés ou non, de masse ou de niche – traitent les productions animées. Quand elle ne sont pas “poétiques et tendres” ou “visuellement bluffantes”, que sont-elles ? Demandez, par exemple, au distributeur du nouveau long métrage d’Anca Damian à quel point il rame pour promouvoir sa prochaine exploitation en salle (le 7 juin). Ce film est pourtant l’archétype de l’utopique Palme d’Or d’un cinéma d’animation créatif, innovant, engagé et exigeant – sans être ni “poétique et tendre” ni “visuellement bluffant” – que nos producteurs ronchons appellent de leurs vœux pieux.
On en reparle l’année prochaine, quand Hayao Miyazaki viendra recevoir sa Palme d’honneur ;)
3° Toujours plus nombriliste, communautariste, “chapellisé”, voire ghettoïsé (si, si, venez sur le terrain pour vérifier !), laborieusement rétif à assumer sa nature intrinsèquement hybride et transversale, incapable d’autocritique et d’auto-dérision, le monde du cinéma d’animation en France, de ses créateurs à ses promoteurs, en passant par ses producteurs et ses diffuseurs, n’entretient-il pas ainsi « cet anathème » constant qui le relégue à « une cinématographie mineure, incapable de produire des films dignes d’une Palme d’Or »
4° Que se passerait-il si les longs métrages d’animation projetés à Cannes cette année hors compétition, à savoir (je cite toujours le communiqué) le « dernier Pixar hors compétition, Mars Express de Jérémie Périn, […] Robot Dreams de Pablo Berger [et] Linda Veut de Poulet ! de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach », c’est-à-dire trois comédies familiales et un récit de science fiction geeko-compatible*, concouraient pour l’un des différents prix en jeu ?
Imagine-t-on sérieusement qu’ils ne seraient pas ridiculisés aux côtés des œuvres monumentales et/ou glamoureusement incarnées de Wang Bing, Nuri Bilge Ceylan, Jonathan Glazer, Marco Bellocchio, Aki Kaurismäki, Ken Loach, Martin Scorcese ou Wes Anderson ?
Quelle visibilité resteraient-il aux drames sociaux et aux purges-masturbatoires-moulées-à-la-FEMIS-qui-n’existent-médiatiquement-que-grâce-aux-sélections-parallèles-de-Cannes (je sais, c’est injuste et gratuit mais qu’est-ce que ça fait du bien), si ces longs métrages d’animation de divertissement devenaient les friandises plus ou moins salutaires des festivaliers cinéphiles ?
5° A-t-on déjà envisagé les productions animées les plus exigeantes comme une menace pour la production cinématographique de fictions et de documentaires en vues continues ?
Car effectivement, il est indéniable que « le cinéma d’animation regorge de talents, des auteurs et autrices aux techniciens et techniciennes. Il met au jour des regards singuliers de cinéastes sur le monde, qui expérimentent des techniques de fabrication riches, des univers graphiques et narratifs uniques et des propos poétiques comme politiques à destination de tous les publics. »
« La reconnaissance de nos pairs [ne serait peut-être pas si] indispensable [que ça] après tout !
L’animation pour adultes est-elle immature ? :)
* Je le suppose du moins, puisque je n’ai pas encore vu ce film, et espère sincèrement me tromper !
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