Longtemps, j’ai été un indécrottable « enfant de la télé ». De mes 5 à mes 17 ans, âge auquel d’autres activités m’ont radicalement détourné du petit écran, une part conséquente de ma culture audio-visuelle s’est construite avec les programmes diffusés sur les trois, puis cinq, chaînes principales du Paysage Audiovisuel Français (PAF).
A l’approche du trentième anniversaire d’anima, structure professionnelle indépendante dans laquelle j’exerce plus que jamais, j’ai tenté de retracer le cheminement qui m’a conduit à dédier une partie non-négligeable de mon temps à promouvoir la création animée, depuis une chaude soirée de l’été 1995.
Je publie aujourd’hui ce récit rétrospectif pour graver dans le marbre virtuel de l’Internet l’enchaînement de toutes les pièces d’un héritage culturel fondateur, que je partage assurément en grande partie avec beaucoup de congénères.
Premières réminiscences téléphiles (1975-1978)
D’aussi loin que je me souvienne, les émissions de télé pour enfants ont toujours représenté des rendez-vous naturels auxquels j’ai adoré être fidèle.
J’ai eu le bonheur de démarrer ma carrière de téléspectateur devant « L’île aux enfants » (émission diffusée de 1974 à 1982) et je garde en mémoire le jour funeste de son décevant remplacement par « Le village dans les nuages » comme un très mauvais souvenir. Les courts intermèdes animés disposés entre les sketches de Casimir, Hippolyte, Léonard et autres marionnettes (Antivol, La Linea, Albert et Barnabé et Gribouille) datant tous de 1975-1977, j’en déduis qu’auparavant, j’étais trop jeune pour y prêter attention en tant que tels. Gribouille, la marionnette-dessinatrice (image d’en-tête) a indubitablement stimulé ma pratique précocement assidue du dessin et mon goût prononcé pour la métamorphose.
Colargol, Le manège enchanté et autre « Bonne nuit, les petits » étaient déjà des vieilleries et je ne souviens pas y avoir prêté l’attention que ces programmes devaient mériter. Allez savoir pourquoi, Pollux ne me faisait ni chaud, ni froid. Il m’ennuyait profondément.
Mes tout premiers souvenirs de salle de cinéma remontent à la même période. Ils sont vagues mais quelques bribes me confirment que j’ai dû subir avec grand plaisir – et Majestiquement ;) – le flot des Disney annuels sortis ou ressortis dans les années 70-80, tels que Robin des Bois ou Bernard et Bianca, entre autres.
Pour rappel, le PAF des années 70 ne comportait que trois chaînes publiques : TF1, Antenne 2 et FR3. Cette situation dura, pour ce qui concernait mon foyer, jusqu’à 1986, année de l’achat d’un premier décodeur Canal+ et d’un lecteur de cassettes vidéos. Les créneaux « jeunesse » à disposition étaient suffisamment nombreux pour avoir la valeur de routines aussi banales qu’immanquables. L’émission « Les visiteurs du mercredi » constituait même un véritable rituel (les histoires de Jacques Trémolin me fascinaient !), le « Muppet Show », diffusé le week-end, était une friandise toujours surprenante où finirent par figurer une partie des acteurs de Star Wars, saga que je découvrirais en deux temps : par procuration en 1977 et frontalement en 1980 avec L’Empire contre-attaque, dont la mémorable attaque des quadripodes impériaux est certainement l’un de mes plus intenses souvenirs de cinéma. Mais je m’égare.
A la télévision d’alors, l’animation scénarisée, de dessins ou de marionnettes, me semblait occuper tous les interstices : avant et après les spots publicitaires (Loeki sur TF1), pour combler les vides entre les émissions (les « Petits A2 » customisés notamment à l’occasion des jeux olympiques ou des fêtes de Noël) ou pour marquer l’arrêt des programmes (inénarrables séquences poétiques de Folon). Bien que je n’y comprenais strictement rien, je dévorais Les Shadocks avec une gourmandise suspecte qui inquiétait mes parents.
On le sait peu, les premières séries animées japonaises, et pas des moindres, ont été diffusées en France dès 1975. Nous ignorions tous à cette époque que les programmateurs des chaînes s’arrangeaient pour gommer toute trace de japonité dans ces œuvres, privilégiant dans leurs génériques les compositeurs de musique, voire le nom de leurs distributeurs français. Cependant, les téléspectateurs les plus perspicaces pouvaient y constater une amplitude narrative et des qualités graphiques extra-ordinaires, des histoires plus élaborées que celles proposées dans les œuvres précédemment citées. Je me rappelle encore parfaitement mon attirance ambiguë pour Princesse Saphir, la dramaturgie flirtant souvent avec le pathos de Maya l’abeille, Hutchi, le petit prince orphelin et Calimero (décidément trop tristes !), l’effervescence romanesque du Roi Léo… J’associe, peut-être à tort mais qu’importe, ces séries animées non pas aux programmes « jeunesse » mais à des émissions plus familiales, programmées le samedi après-midi, où se côtoyaient L’homme qui valait 3 milliards, Spiderman/ »L’araignée » et autres productions audiovisuelles américaines, marquantes pour des raisons autres qu’animationnelles.
Début d’animaphilie affirmée (1978-1987)
Comme je l’ai déjà mentionné ailleurs, j’ai été, en juillet 1978, de ceux qui ont pris la baffe de la première diffusion de Goldorak. Face à moi, l’un de mes rares jouets d’enfant que j’ai conservé me rappelle chaque jour l’intensité de l’épiphanie et l’obsession que j’ai imposée à mes parents dès les fêtes de Noël et jusqu’à l’année suivante pour la sortie du long métrage de cinéma dédié au robot géant d’Actarus. J’ai oublié l’expérience cinématographique comme le film qui n’était sans doute qu’une compilation de scènes déjà vues.
La période de cinq ou six années qu’inaugure cet événement correspond à ma pré-adolescence, c’est-à-dire à l’affirmation de mes affinités culturelles : bandes-dessinées, science-fiction, musique rock, importations du « cool » étasunien (skate/BMX/hip hop), puberté pas encore perturbante, insouciance relative vis-à-vis de la réalité catastrophique du monde, résistance manifeste à la sortie de l’enfance. Ce terreau était donc propice à mon adhésion inconditionnelle à tout ce qui bougeait de manière satisfaisante et me racontait des histoires palpitantes.
La télévision française connaissait alors une sorte d’âge d’or, tenaillé entre émancipation de l’autorité gouvernementale (fin de l’ORTF en 1974) et arrivée d’une première chaîne privée (Canal + en 1984). Une sorte d’emballement se produisait alors sur le terrain des programmes « jeunesse ». Goldorak se révélait une poule aux œufs d’or, un filon qu’exploiteraient désormais toutes les chaînes. L’animation japonaise, dont l’identité restait toujours pudiquement camouflée, commençait à monopoliser les programmes « jeunesse » et les conversations de cour de récré.
Comme la majorité des téléspectateurs, je me fichais de connaître l’origine des séries animées que je consommais avec boulimie, curiosité et impatience aussi, puisqu’il fallait attendre d’une semaine à l’autre pour retrouver nos rendez-vous favoris. Pas d’enregistrement vidéos possibles, toujours trois chaînes à disposition, dont la dernière venaient à peine de passer à la couleur mais je recevais cette profusion de dessins animés nippons comme un encouragement toujours plus prégnant au zapping, en particulier le mercredi après-midi.
Étonnamment, c’est avec la riposte de TF1 au raz-de-marée Goldorak, La bataille des planètes (Gatchaman), que j’ai pris conscience concrètement de mon vif penchant pour les séries japonaises. Il se dégageait de cette œuvre une rugosité, une violence, une vivacité de mouvements, des thématiques particulièrement séduisantes et élévatrices à mes yeux, que je retrouvais par ailleurs aussi dans des comédies d’aventure (Albator et les effrayantes Sylvidres, Rémi sans famille et son cortège d’injustices fatales) ou de romances (Candy, Lady Oscar). Comme je l’ai écrit à maintes reprises (comme ici), le choc esthétique ressenti face à Heïdi m’a aussi immédiatement happé dès sa première diffusion en décembre 1979, preuve s’il m’en fallait une que mon attirance n’était pas uniquement dictée par des pulsions masculines. Bien au contraire, s’affinait progressivement un sérieux tropisme pour le design arrondi et rassurant (que j’identifierai bien plus tard comme la pâte ou l’influence de Yasuji Mori). L’émission d’Antenne 2, « Récré A2 », qui connaissait l’apogée de son succès, enchaînait la diffusion d’adaptations de récits littéraires occidentaux en tête desquelles trônaient Tom Sawyer, Sherlock Holmes, Belle & Sébastien, Bouba ou Les mystérieuses cités d’or.
Étaient-elles toutes programmées dans cette émission ? Quoi qu’il en fut, elles me touchaient profondément et inoculaient lentement leurs agents pathogènes. Ces séries animées m’offraient à l’évidence le refuge sécurisant qui me détournait des soucis domestiques et des menaces mondiales de troisième guerre du même nom.
Au milieu de ces pépites fondatrices, beaucoup de productions américaines et européennes tentaient une concurrence vaine qui tenait principalement, sans que je puisse le verbaliser de la sorte en les subissant, à leurs piètres qualités esthétiques et narratives. Inspecteur Gadget, Jayce, Les maîtres de l’univers et consorts cachaient beaucoup moins bien que les autres leur nature de grosse publicité pour l’industrie du jouet. Aussi, lorsque paraissaient, à la faveur des programmes de vacances ou de créneaux de début de soirée, les Ulysse 31, Il était une fois l’espace, Le merveilleux voyage de Nils Holgersson, L’île au trésor, Vik, le viking ou Kum Kum, toute la médiocrité des autres séries n’avait plus la moindre importance.
J’en développais même mes premières émotions critiques face à des dessins animés qui m’apparaissaient moins bien faits, moins captivants, moins stimulants pour mon imagination : Le tour du monde en 80 jours, Les Trois mousquetaires, Scoobidoo, Les fous du volant, Capitaine Caverne, Danger Mouse (Dare Dare Motus), … Non, je sauverais cette dernière ! Elle avait la saveur de la pop et un flegme dont je reconnaissais instinctivement la « britannicité » que je venais d’embrasser sans réserve après une immersion inattendue d’une dizaine de jours, sans ma famille, au nord de Londres à l’été 1984. C’est aussi au début des années 80 que j’ai découvert avec un sentiment très mitigé les téléfilms adaptant les Peanuts. Ces dessins animés possédaient un rythme particulier, une ambiance profondément mélancolique et une bande-son étrangement addictive. Et plus encore, leur personnage principal Charlie Brown me renvoyait le reflet, presque identique au mien, d’un loser magnifique proprement incapable de trouver sa place dans la société qui l’entoure.
Comme tout le monde, j’ai adoré Il était une fois l’Homme. On pouvait donc transmettre l’Histoire avec les dessins animés ! ;) Son humour, sa mélancolie latente, l’incroyable pessimisme de son ultime épisode, tout me semblait représenter une sorte de panacée artistique et une improbable perspective professionnelle exprimée timidement devant ma première conseillère d’orientation rencontrée en classe de 5e. Quelques années plus tôt, j’avais, je crois, été préparé à cette préfiguration d’amorce de début de prise de conscience par une série très impressionnante à mes yeux, l’Histoire de France en Bandes Dessinées (1978). Celle-ci se contentait de filmer les cases d’une collection d’ouvrages imprimés – que j’avais presque tous fait acheter – dont le style, les styles de dessin, possédaient des qualités télégéniques indéniables. Le coup de hache de Clovis, les combats sanguinolents de Bertrand Du Guesclin ou le visage bouffi de Danton m’ont marqué à vie.
Les dessins animés télévisés ont aussi étayé les bouleversements hormonaux qui m’assaillaient au milieu des années 80.
Je me souviens parfaitement, qu’ayant pris l’habitude un peu hasardeuse de prolonger le plus tard possible mon temps de cerveau disponible à la télévision en période de vacances scolaires, je n’ai manqué aucun des « Hommages à Tex Avery » programmés par Patrick Brion dans « Le cinéma de minuit » entre 1980 et 1984. Ces moments sont associés dans ma mémoire à des paroxysmes de réveillons familiaux de la Saint-Sylvestre et surtout à des flottements crépusculaires de fin de congés scolaires. Devant ces compilations de courts métrages proprement hallucinatoires pour un garçon de 9-12 ans, je comprenais sans le savoir le concept de « dessins animés pour adultes », je chérissais les apparitions des pin-ups aguicheuses, les manifestations d’érotomanie des loups en rut et les bastons surréalistes de caricatures anti-disneyennes, lesquelles me mettaient dans un état d’euphorie étrange.
Si la série Cobra, diffusée entre 1985 et 1987 dans Récré A2, a fortement piqué ma libido embryonnaire et ce « grâce à » la vision masculiniste hyper-stéréotypée qu’elle véhiculait, c’est un épisode d’Edgard de la Cambriole, diffusé sur FR3 vers 1986, en plein après-midi, qui m’a sans doute le plus émoustillé (en tout bien tout honneur, je précise). J’ai su bien plus tard que je n’avais pas été le seul à m’étonner agréablement de voir Edgar plonger dans un harem rempli de plantureuses jeunes femmes nues. Merci aux sentinelles du PAF d’avoir mal fait leur boulot !
Le lycée démarrait alors, les vraies préoccupations sexuelles aussi, motifs suffisants pour délaisser les dessins animés. C’était compter sans la lubricité géniale de Maître Tortue.
Trois dessins animés « perdus »
Nous possédons tous quelques souvenirs vagues mais radicalement tenaces d’œuvres visuelles dont nous avons oublié les détails et les raisons d’un attachement si persistant.
Parmi les miens figurent trois séries de dessins animés dont un seul épisode, voire une seul plan, ressurgissent encore régulièrement non comme le goût d’une madeleine dans le thé mais tels des ectoplasmes bienveillants revenant titiller quelque fibre émotionnelle déterminée à ne jamais s’effacer.
• La vie secrète de Waldo Kitty (diffusée en 1977 dans « Les visiteurs du mercredi ») est la première et la plus marquante d’entre elles.
Visionnant les images aujourd’hui je m’interroge : est-ce le concept hybride (préambules filmées + animations cartoonesques) qui m’a à ce point hypnotisé ? Son humour très fin ?
• J’ai longtemps cru être passé complètement à côté de Conan, fils du futur. Diffusée en 1987, alors que ma consommation de télévision s’était orientée vers des choses moins divertissantes, je croyais ne garder aucun souvenir de cette série extraordinaire. Or lorsque j’ai eu à programmer en 1996 le « Cycle Cinémanga« , au sein duquel trônait le film-compilation fabriqué à partir de la première série réalisée par Hayao Miyazaki, plusieurs séquences m’ont donné, au pire, une impression de déjà-vu, au mieux, une sensation d’intime familiarité. Les séquences du baiser sous l’eau et du tsunami, en particulier.
• La troisième constitue toujours aujourd’hui un mystère que j’ai renoncé à résoudre. Avec certitude, je sais qu’il s’agit d’une courte scène issue d’une série japonaise interceptée au hasard d’un zapping antérieur à la privatisation de TF1, série ou film dont le héros arborait l’allure d’un personnage de la mythologie grecque antique. Ses faits d’armes et son épée rétractable (façon Ryu et Ayato dans « San Ku Kaï », à moins que j’aie fantasmé ce détail) m’ont poussé à en fabriquer méticuleusement une avec mes « mécanos » jaunes et bleus. Ce personnage ne pouvait être sorti des Chevaliers du Zodiaques que j’ai découverts et détestés bien plus tard.
Toujours grâce au « Cycle Cinémanga », j’ai trouvé ma piste la plus sérieuse avec Arion. Aussi, l’adaptation sous forme de long métrage de ce manga étant sortie au Japon en 1986 et, sauf erreur, jamais en série, et encore moins diffusée en France, soit j’ai intercepté un extrait de ce film dans une quelconque émission de cinéma (ce qui reste peu probable compte tenu du fait que le film n’a été exploité en France qu’à partir de 1995), soit je me trompe de référence. Mon enquête continue.
Cristallisation autodidacte (1988-1995)
La fin des années 80 et le début des années 90 m’ont fait passer successivement du lycée à l’école des Beaux-Arts, et des premiers jobs alimentaires au chômage. Durant une période de flottement de trois années, je suis entré en tant qu’objecteur de conscience dans une radio associative, j’ai grattouillé dans des groupes de rock énergique, j’ai participé activement à l’organisation régulière de concerts et de festivals de « musiques actuelles », j’ai découvert les manga et animé des émissions radiophoniques consacrées aux bandes dessinées. Si je passais alors moins de temps devant les programmes de télévision, je consommais toujours beaucoup de séries animées avec un regard toutefois déviant très vite de la consommation passive à l’examen critique de ces œuvres. Mes goûts s’affinaient, un tri de plus en plus sélectif s’opérait, une véritable passion se cristallisait lentement mais sûrement à la faveur de quelques illuminations décisives.
La première d’entre elles a lieu un matin de mars 1988. Cloué au lit avec 39 de fièvre, je découvrais Dragon Ball.
Mes révisions de Première et de Terminale ont été laborieuses et les dessins animés ont considérablement pallié les incertitudes et autres chagrins de l’adolescence. Les atermoiements transgenres de Ranma, le réalisme domestique de Patlabor, l’univers foutraque de Dr Slump, les péripéties à l’eau de rose de Maison Ikkoku, les intrigues insensées de Lamu, l’ambiance débridée du Collège fou fou fou, et même Nicky Larson (c’est dire) m’ont bien aidé à supporter cette période pénible. Je ne trouve en revanche pas la moindre attirance pour les franchises masculinistes pro-guerrières comme Dragon Ball Z, Les Chevaliers du Zodiaques, Olive et Tom ou Ken le survivants. Le ridicule de leur hyper-dilatation temporelle me sautait aux yeux et me plongeait au bout de quelques secondes dans l’affliction la plus abyssale.
L’éphémère chaîne berlusconienne, La Cinq, exploitait elle-aussi, avec un opportunisme encore plus flagrant que les autres, la manne des anime nippons, en particulier les comédies romantiques qui n’ont rien à envier aux vertigineusement pathétiques Feux de l’amour : Max & Compagnie, Cynthia et je-ne-sais-plus-quoi-de-très-nunuche, Jeane & Serge, Super Durand, et consorts. J’ai vraiment dû m’ennuyer comme un rat mort pour conserver souvenir de ces séries ! Je ne regardais plus ces programmes qu’en dilettante quand je me suis retrouvé scotché à mon siège devant les derniers épisodes de Nadia et le secret de l’eau bleu. Cette série a compensé à elle-seule mes égarements précédents sur la télé-poubelle.
J’ai démarré mes études supérieures aux Beaux-Arts en septembre 1989. Le concours d’entrée, quelques mois plus tôt, m’avait été facilité par 12 mois de cours de dessins, durant lesquels j’avais reproduis, de manière plus ou moins élaborée, quelques planches et cases de mes BD favorites (j’adorais Bourgeon à l’époque). Lors de cet entraînement de copiste, je peignais sur celluloïd des personnages de Tex Avery et de la famille Simpson, dont les premières diffusions m’avaient conquises sans le moindre effort.
S’en suivit un période de chômage d’une année pendant laquelle j’ai occupé mon temps libre à dessiner et peindre, et à être plus attentifs aux longs métrages d’animation auteuristes, que seule la chaîne cryptée programmait régulièrement. J’avais alors commencé à me constituer une vidéothèque à vocation professionnalisante. Les trois premières cassettes VHS achetées avec mes économies furent Fantasia, Pinocchio et Akira. Je complétais rapidement ma collection avec des enregistrements de compilations de films de Tex Avery, de La planète sauvage, Fritz The Cat et Le Roi et l’Oiseau. Puis par tous les épisodes du Monty Python’s Flying Circus (diffusé pour la première fois en France en V.O sous-titrée en belge), dont les intermèdes animés par Terry Gilliam avaient eu spontanément grande valeur à mes yeux, malgré leur facture rudimentaire.
Entre 1991 et 1995, je profitais aussi de chacun de mes nombreux passages à Londres pour, d’une part, augmenter ma collection de vinyls et, d’autres part, me constituer une documentation (livres d’art, essais, ouvrages techniques) dédiée au cinéma d’animation. C’est ainsi que j’ai acquis notamment une version miniature de « Treasures of Disney Animation Art« , plus abordable pour mon porte-monnaie et surtout plus facile à glisser dans un sac à dos. Sur la base de ce petit pavé, je me suis imposé une sorte d’entraînement personnel consistant à reproduire au mieux l’intégralité des dessins présentés dans cet ouvrage de poche.
Parallèlement, je cherchais en vain à me documenter sur l’animation japonaise qui emportait toujours très nettement ma préférence, que la publication française d’Akira amplifia dans des proportions extrêmes. Personne dans mon entourage ne partageait ces goûts et je déplorais à mon journal intime d’avoir à garder pour moi seul les débordements d’enthousiasme que provoquaient ces films.
Je m’étais rué dès sa sortie sur le bouquin de Thierry Groensteen, « L’univers des mangas » à l’occasion d’un passage au Festival d’Angoulême. Une édition au cours de laquelle une exposition consacrée à Little Nemo me fit tomber amoureux de l’œuvre de Winsor McCay. Dans l’unique librairie indépendante de Caen spécialisée dans les bandes dessinées, que je fréquentais épisodiquement, je dégottais par hasard le n°9 du fanzine bimestriel AnimeLand, un jour béni de 1992.
Forte de ses succès d’audience, l’émission de TF1, où se concentrait la part la plus importante des séries animées nippones, surfait sur la vague en publiant des fascicules plus proches du prospectus publicitaire que du journal spécialisé. Ces publications aussi surchargées d’images pimpantes que vides de contenus explicatifs constituaient l’unique mass media susceptible d’assouvir un tant soit peu la frustration des adeptes adolescents-jeunes adultes désireux d’approfondir leur passion. C’est dire toute la misère de l’époque.
Aussi, quelques semaines après ma trouvaille salutaire, je commandais d’anciens numéros du fanzine et l’achèterais désormais assidûment jusqu’à mon intégration dans sa rédaction en 1997.
Le déclic
Deux fois pas an, AnimeLand me fournissait une dose hygiénique mais bien insuffisante d’analyses un peu élaborées de dessins animés japonais. J’y lisais négligemment les articles consacrés à des œuvres certes attirantes mais hors de portée, puisque non-diffusées en France, sinon en version originale non-sous-titrée, qui s’échangeaient dans le réseau des fans parisiens que je ne fréquentais pas. J’avais beau guetter impatiemment les premiers signes d’exploitation caennaise de Porco Rosso, invoquer les divinités shintô, faire la danse de la pluie, rien n’advenait, jusqu’à quelques projections, dans un petit cinéma associatif à une trentaine de kilomètres de la capitale bas-normande. J’organisais une expédition avec ma compagne et un groupe d’amis par une chaude soirée de juin 1995. Je n’oublierai jamais ni mon long retour à la réalité au sortir de cette séance, ni la nuit d’insomnie suivante à planifier un plan d’attaque jalonné d’objectifs à ma portée et de cibles a priori inatteignables, tels que m’enquérir d’un cinéma caennais pour amener le film de Miyazaki au public local, me rapprocher de la rédaction d’AnimeLand, animer une émission de radio régulière pour faciliter l’enrichissement de ma documentation imprimée et audiovisuelle, et fédérer quelques passionnés pour m’aider. Sans trop y croire, j’entrevoyais aussi une voie d’entrée possible dans un milieu où tout restait à construire.
Trente ans après, je regarde le tortueux itinéraire parcouru, parsemé de rencontres décisives et de confrontations plus ou moins heureuses face à presque tous les types de public (jeunes, vieux, cinéphiles, néophytes, nombreux ou pas, attentifs à ce que j’avais à leur dire ou totalement désintéressés). Je constate sans amertume la lassitude qui me gagne depuis deux ou trois ans à m’exposer à ces mêmes publics. Je mesure à quel point l’addition de toutes ces petites briques a consolidé un édifice volontairement modeste, inévitablement fragile, joyeusement intègre et farouchement indépendant. Prolongements naturels de ce parcours, les projets qui m’occupent en ce moment m’enthousiasment autant que ceux que j’échafaudais en 1995. J’y vois un signal encourageant.
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