Affligeant !

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Sur le site “Canal U, la web-tv de l’enseignement supérieur”, j’invite les plus courageux d’entre vous à visionner une conférence donnée à la Cinémathèque française le 6 avril 2012 par Mme Brigitte Koyama-Richard, intitulée “L’animation japonaise, des origines à nos jours”.
Si vous ne rigolez pas aux éclats devant l’absence de rigueur désolante de ce docteur en littérature et “chercheuse” autoproclamée spécialiste de l’animation japonaise, c’est qu’il vous manque sans doute quelques éléments culturels. Je me propose ici de vous en fournir au moins trois.
Auparavant, je précise que j’aurais bien argumenté ici les problèmes pédagogiques que posent la tenue de cette conférence sous la caution intellectuelle, sinon institutionnelle, de la Cinémathèque française, et plus encore la présence de cette vidéo dans un flux de contenus destinés au corps universitaire, mais comme tout le monde se fiche de ce qu’on enseigne à l’université et dans les écoles d’art, je m’en tiendrais aux seuls points suivants.

1. Dès le générique de cette conférence (ci-dessus), le mépris pour l’animation japonaise de son auteure (?) et/ou commanditaire est assez criant. Que voyons-nous : des personnages au graphisme hideux aux yeux bridés se trémoussant maladroitement sous l’effet d’une animation désastreuse sur fond de japoniaiseries sonores de supermarché de part et d’autres d’un poste de télévision des années 50 dont l’écran se brise finalement en mille morceaux. Outre le fait que cet emballage abscons nous renvoie inévitablement aux inepties de Ségolène Royale en 1989 dans son livre oublié “Le raz le bol des bébés zappeurs” ou aux “fourmis jaunes” du Premier ministre Édith Cresson en 1991, cette image censée introduire le thème de la conférence à venir portant (soi-disant) sur le patrimoine cinématographique japonais, passé et présent, nous invitent clairement – a minima – à le considérer avec condescendance.
2. Au début de sa conférence, Mme Koyama-Richard dévoile le sérieux de ses “recherches” en annonçant l’origine du cinéma d’animation admise en Occident, je cite “dans les grottes” quand les Japonais la situent (les imbéciles) dans les rouleaux peints du Moyen Âge.
Soit, excusons ce raccourci, que quiconque a déjà donné une conférence sur un sujet si vaste en un temps limité a commis au moins une fois, et attardons-nous sur l’exemple mentionné par cette dame pour illustrer son propos. Mme Koyama-Richard invoque le “Chôjû- jinbutsu giga emaki” qu’elle traduit – powerpoint à l’appui – par “Le rouleau des oiseaux et des animaux”.
Mon japonais n’étant que rudimentaire, je préciserai d’abord que l’idéogramme “tori” (oiseau) ne figure pas dans le titre officiel de cette œuvre. L’introduction du mot “oiseau” dans la traduction de Mme Koyama relève donc au mieux d’une interprétation erronée, au pire d’une connaissance très incomplète de l’œuvre citée.
En effet, si cette dame était vraiment chercheuse ou avait mené son étude avec la rigueur élémentaire d’un étudiant de première année, elle aurait d’abord utilisé le pluriel pour définir le Chôjû giga. Car ce chef d’œuvre absolu des arts graphiques et narratifs, réalisé au 12e siècle, est en réalité composé de quatre rouleaux de facture et de longueur très différentes. Le plus célèbre d’entre eux, le premier, étale sur plus de 11 mètres les frasques d’animaux qui pourraient – l’interprétation fait débat – représenter une satire de rites bouddhiques. C’est ce premier rouleau qui montre, comme l’a notamment signalé M. Talakata dans son livre (1999), les probables prémices d’une grammaire narrative innovante, comparable à celle des bandes dessinées et des dessins animés.
Des oiseaux (coqs, rapaces), il y en a bel et bien mais uniquement dans le second rouleau d’inspiration très chinoise, composition qui ne contient elle aucune caractéristique (ou presque) donnant à voir des effets de “mise en scène” comparables à ceux du rouleau précédent.

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Le problème de traduction qui se pose ici ne porte pas tant sur la présence ou non d’oiseaux mais sur l’impasse faite par Mme Koyama-Richard sur la traduction officielle qui induit généralement  les notions de “caricature” (cartoon en anglais), de “satire”, voire “d’anthropomorphisme”. Dans les livres sérieux d’histoire de l’art asiatique (et même sur Wikipédia !), on trouve principalement :
– “Rouleaux des animaux et des hommes” (bien plus présents que les oiseaux, 3e et 4e rouleaux)
– “Rouleaux satiriques des animaux”
– “Caricatures de personnages de la faune” (titre très réducteur donc)
Or ce sont précisément ces notions qui font de l’œuvre intitulée “Chôjû jinbutsu giga emaki” le lointain et direct ancêtre des bandes dessinées et des dessins animés.

3. Découragé par l’inventaire de toutes les approximations balancées sans précaution sur les tout premiers films d’animation japonais, lesquelles n’ont visiblement pas fait bondir plus que ça les mandarins incultes en matière de cinéma d’animation de la Cinémathèque, je me contenterais plutôt de relever la place prépondérante, à nouveau très suspecte, accordée à deux artistes présentés comme “majeurs” par Mme Koyama-Richard, à savoir Osamu Tezuka et Rin Taro (disciple du premier).
Notre chercheuse en herbe le dit elle-même, elle a rencontré M. Rin Taro et elle a été impressionnée, je cite toujours, par “la quantité de dessins” nécessaire à la réalisation d’un film d’animation dessinée. Il faut se rendre à l’évidence, Mme Koyama-Richard n’a pas bien compris qu’il s’agit d’une propriété ontologique des dessins animés, que c’est à peu près aussi surprenant que la découverte de l’alphabet lorsqu’on apprend à lire, et que cette remarque infantilisante cache bien mal son ignorance du sujet.
Il faut peut-être rappeler à Mme Koyama-Richard qu’Osamu Tezuka, s’il est unanimement connu et considéré comme le “Dieu du manga” (bandes dessinées japonaises), est aussi celui qui a le plus perverti l’art des dessins animés en instaurant un système de travail taylorisé afin de produire des séries bas de gamme en quantité industrielle, et a contribué ainsi très largement à forger l’image désastreuse et visiblement persistante des dessins animés japonais en Occident. Je crois avoir une fois entendu Hayao Miyazaki déclarer que Tezuka n’avait “rien compris à l’animation” ce qui est un peu brutal, compte tenu de la qualité de certains de ses courts métrages, mais sans doute pas si exagéré que ça d’un point de vue strictement artistique.
Quant à M. Rin Taro, s’il peut être indiscutablement reconnu comme un acteur central de la production japonaise de séries et de films dessinés, son talent cinématographique est un peu plus discutable.

Merci, Mme Koyama-Richard, pour ce moment de sape en règle du travail de terrain que nous sommes quelques-uns à accomplir depuis des années maintenant pour défendre objectivement l’animation japonaise de qualité. Sachez, Madame, que j’accorde désormais beaucoup moins de crédit à la prose qui jadis m’enchanta concernant Edmond de Goncourt et Hayashi Tadamasa, et en comprends bien mieux désormais le titre (“Japon rêvé”).
Merci aussi à la Cinémathèque de cautionner avec si peu d’exigence des propos si creux et dénués d’intérêt historique et pédagogique aux dépens de l’autorité culturelle que d’aucuns estiment encore attribuer à cette institution empoussiérée.

> visionner la conférence de Mme Koyama-Richard
> précédent billet sur les approximations de la Cinémathèque

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