Le studio Tôei Dôga (1956-1972)
Marie Pruvost-Delaspre
Presses Universitaires de Rennes – 2021
350 pages
ISBN : 978-2-7535-8081-7
Il aura donc fallu attendre un peu plus de six années pour que la thèse de Marie Pruvost-Delaspre, « Pour une histoire esthétique et technique de la production animée : le cas de la Tôei Dôga (1956 – 1972) », soutenue en novembre 2014 à la Sorbonne Nouvelle soit en partie rendue accessible au grand public.
Ce recueil érudit et très documenté comble à lui seul un vide abyssal en matière de littérature francophone fiable sur l’Histoire de l’animation nippone. Par son approche transversale, qui combine considérations artistiques, socio-professionnelles et techniques, il permet de comprendre les valeurs et travers de cette production aussi massive que foisonnante de créativité, et d’en capter les innombrables qualités susceptibles d’enrichir le processus de fabrication et le corpus des films de dessins animés à travers le monde.
L’histoire du studio Toei Dôga (qui deviendra Toei Animation après 1972) illustre les réussites autant que les échecs d’un modèle de production idéaliste visant à développer une filmographie nationale apte à rivaliser avec les modèles hollywoodiens (Disney) et moscovites (Soyouzmoultfilms), en termes économiques et de pouvoir d’influence à l’international.
Cet idéal cinématographique n’a pu résister à la révolution sociétale provoquée par la démocratisation accélérée de la télévision, laquelle aura, en une décennie, imposé ses propres règles non sans sacrifices artistiques, à toute l’industrie de l’animation japonaise. Avant que celle-ci ne parvienne enfin à atteindre son véritable « âge d’or cinématographique », à la faveur de l’épanouissement de studios fondés autour de personnalités porteuses, chacune à leur manière, de l’héritage de Toei Dôga : Nippon Animation, Telecom, Madhouse, IG, Ghibli, 4°C et plus récemment Gainax, Chizu, Science Saru.
Quatrième de couverture
La Tôei Dôga, fondée en 1956 et aujourd’hui nommé Tôei Animation, est dans l’après-guerre l’un des plus importants studios d’animation japonais, lieu de formation privilégié aux métiers de l’animation et de l’émergence de l’anime. Son directeur Hiroshi Ôkawa qui veut en faire le « Disney de l’Orient », oriente sa production vers le long métrage pour le cinéma, une gageure pour une industrie de l’animation naissante. Le Serpent blanc (1958), premier film animé en couleurs produit au Japon, se fait l’étendard de ce programme. Le modèle américain est ensuite mis de côté, laissant émerger de nombreuses réappropriations et innovations techniques, comme Le Petit Prince et le dragon à huit têtes (1963), Horus prince du soleil (1968), Les Joyeux Pirates de l’île au trésor (1971).
Cet ouvrage explore l’histoire de cette structure depuis les mois qui précèdent sa création jusqu’à la disparition de son directeur historique, en la replaçant dans le contexte de la production cinématographique mais aussi des évolutions sociales du Japon de l’époque. Il montre comment, à travers les bouleversements successifs de son système de production et de son usage des techniques d’animation, la Tôei Dôga peut être vue comme un laboratoire où s’élaborent des pratiques de l’animation conflictuelles mais encore influentes.
Extrait de l’introduction
« […] Il s’agit aussi, à partir de sources éparses et parfois peu conventionnelles, d’écrire une histoire de la Tôei Dôga qui ne s’appuie pas seulement sur les discours, les témoignages étant souvent convoqués en premier lieu dans les histoires du cinéma d’animation japonais, mais également sur des documents de production, disponibles sur place ou consultés à travers des catalogues d’exposition, des collections privées ou des ventes aux enchères. Cette démarche s’inscrit dans un renouvellement de l’histoire du cinéma qui se veut à l’écoute des contextes de production et de diffusion des œuvres, […]
Sommaire
Introduction
1. L’AVÈNEMENT D’UN STYLE: GENÈSE DU STUDIO TÔEI DÔGA (1956-1962)
• Introduction
I. Destruction et renaissance: le renouveau de la production cinématographique après la guerre
• L’animation au Japon en 1945 : une industrie sinistrée en reconstruction
– Le cinéma japonais sous l’occupation américaine
– La production japonaise face à la concurrence étrangère
– L’arrivée des premiers longs métrages d’animation américains
• Renouveau et prospérité du système des studios
– Un nouvel entrant parmi les majors, la Tôei
– Une stratégie budgétaire payante
• Le marché de l’animation après la guerre
– Une renaissance du dessin animé japonais
– De la Nichidô à la Tôei Dôga
– Lyrisme et modernité des films d’animation japonais des années 1950
II Un studio-école: à la recherche d’un style
• Une production-test: les courts métrages de la Tôei Dôga
– Une diversité de parcours professionnels
– Les courts métrages, lieux de formation et de recherche privilégiés
– L’esquisse, ou la mise en abyme du processus créatif
– Mori et Daikuhara: un style qui fait école(s) ?
• L’élève et le maître: le système de production de la Tôei Dôga avant 1963
– L’apprentissage par l’imitation et la répartition des tâches créatives
– Une conception tayloriste et cloisonnée de la production ?
– Le principe de l’assistanat à l’essai
– Un système de production favorisant la liberté de création ?
• Le modèle disneyen: réalité ou fantasme ?
– Manuels et sources écrites: à la recherche des pionniers du cartoon
– Une référence esthétique et technique revisitée
– Centre, périphérie et diffusion des techniques: l’exemple de la prise de vues
III Le Disney de l’Orient: les premiers longs métrages de la Tôei Dôga
• Le Serpent blanc, film-manifeste ou film-essai ?
– Étrangeté du Serpent blanc
– Une déclaration d’intention : les ambitions de la Tôei d’Ôkawa
– La technique de la rotoscopie et la «nature» de l’animation
• Une stratégie de producteur: la politique d’exportation de Hiroshi Ôkawa
– Une approche novatrice de la production cinématographique
– La question de l’exportation: le rêve américain de Hiroshi Ôkawa
– À la conquête du marché asiatique: un conte chinois dans le Japon d’après-guerre
• Syncrétisme et orientalisme: la Tôei Dôga et le folklore asiatique
– À la recherche d’un «style national»
– La mise à distance de l’autre: une «orientalisation» de l’Asie ?
– La tentation des genres: circulation transmédiatique des personnages et des récits
– Retour aux sources: le tournant de Anju et Zushiomaru (1961)
2. D’UNE RÉVOLUTION À L’AUTRE: L’ÉMERGENCE DE L’ANIME(1963-1965)
Introduction
I Vers un nouveau système de production: «l’invention» de l’animation japonaise
• Chaînes de coopération et liberté artistique
– Évolutions technologiques et modèles de production
– Limites de l’imitation: la fin de l’assistanat
– La supervision de l’animation: le contrôle ou la liberté ?
• La direction de l’animation: invention ou innovation ?
– Qu’est-ce que la supervision de l’animation ?
– Une nouvelle répartition des tâches créatives
• L’application du «modèle Mori» sur Le Petit Prince et le dragon à huit têtes
– La production du Petit prince et le dragon à huit têtes
– Une inspiration moderniste américaine
– Faire du nouveau avec de l’ancien
II L’animation et les autres arts : transferts culturels et traditions inventées
• Le crayon et le pinceau: des traditions artistiques conflictuelles
– Présence(s) de la peinture
– Okakura et les beaux-arts japonais
– Emprunts et reprises: le rôle de l’illustration
• La multiplane, une question de représentation du monde ?
– De la perspective en peinture au réalisme en animation
– Aux origines de la première multiplane de la Tôei
– Une réinvention japonaise de la multiplane
• La profondeur de champ au regard de la perspective
– L’invention de la perspective
– Perspective et profondeur de champ cinématographique
– Profondeur de champ, latéralité et effet d’irréalité
III Une contre-révolution: l’animation pour la télévision
• La production pour la télévision: la nouvelle donne de la série animée
– Les débuts de la télévision au Japon
– Des rapports tendus entre cinéma et télévision
– Pour une approche historiographique de la production télévisée
• Le modèle Tezuka : Astroboy, ou la révolution programmée
– Les dessins animés à la télévision japonaise dans les années 1960
– Tezuka à la Tôei, discours et imaginaire
– La Tôei face au médium télévisuel
– Tôei et Mushi, deux pensées de l’animation
• Sérialité et qualité de l’animation: la production télévisée de la Tôei Dôga
– L’animation télévisée et la question de la qualité
– Le système de la Tôei et l’animation télévisée
– Les inventions de l’animation limitée
3. LA FIN D’UN MODÈLE (1966-1972)
Introduction
I Une période troublée: vers la naissance d’un discours politique
• Syndicalisme et engagement : les conflits sociaux à la Tôei Dôga
– Conditions de travail et syndicalisme japonais
– Syndicats de studios de cinéma: le cas de la Tôhô
– Politique et création, les revendications du syndicat de la Tôei Dôga
– Les grèves de studios, un aspect méconnu de l’histoire de l’animation
• Le détour de l’allégorie : vers un cinéma politique ?
– Le choc générationnel des années de haute croissance
– Rupture de ton : du drame à la comédie d’aventure
– La création à l’épreuve de l’actualité
– Un film de studio contestataire ?
• La fable politique de Horus, Prince du soleil (1968)
– Le cinéma comme espace de création «démocratique»
– Un film en résistance contre le système de studio
– L’intervalle comme lieu du politique
II Du système de studio à la logique de marché
• Le manga à l’écran: la pratique de l’adaptation à la Tôei Dôga
– Les adaptations littéraires, des contes folkloriques à la littérature européenne
– La pratique de l’adaptation : l’exemple du Chat botté
– «Laisser sa patte» : création collective et vision d’auteur
– Du roman d’aventure au manga d’apprentissage
• Le double programme: la fin d’une politique de qualité ?
– Double programme et stratégie d’exploitation
– La stratégie du revival et le Tôei Manga Matsuri
• Changement d’ère : la victoire du merchandising
– Pour une histoire des produits dérivés
– Le merchandising, au cœur des stratégies des studios d’animation
III De l’héritage du manga eiga pour écrire l’histoire de l’anime
• Écrire l’histoire ou la faire : le rôle de l’association Anidô
– L’association Anidô, une naissance politique
– Un acteur de l’écriture de l’histoire : publications et archives de l’Anidô
– Une certaine vision du monde (de l’animation) : la programmation éclectique de l’Anidô
– Les pratiques cinéphiliques des membres de la Tôei Dôga
• La fin d’une vision de producteur : l’hémorragie artistique des années 1970
– Voice or exit : le conflit de 1971-1972
– Désertions à la chaîne
– À la recherche de l’âme disparue du studio
• Avatars contemporains et renaissance du modèle de la Tôei Dôga
– Mort et renaissance du long métrage
– Animateurs-stars, le cas Kanada
– Avatars contemporains de la Tôei : le style de Studio Madhouse
– Avatars contemporains de la Tôei : le modèle auteuriste de Ghibli
Conclusion
Bibliographie
Annexe I
• Glossaire de termes japonais utilisés
Index des personnes citées
Index des œuvres cités
Images
• En-tête : Le Petit Prince et l’hydre à huit têtes de Yugo Serikawa (1963)
• Dédicace aquarellée de Yasuji MORI, reprenant le personnage emblématique du Chat botté, mascotte de la Tôei Dôga
• Ci-dessus, croquis d’animation du personnage principal de こねこのスタジオ (Le studio du chaton, 1959) par Yasuji MORI.
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