Dépit et lucidité

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L’anecdote est célèbre. Elle est relatée par l’historien et réalisateur John Canemaker dans son ouvrage d’anthologie « Winsor McCay – His life and art » (Winsor McCay – Sa vie, son œuvre artistique).

A l’issue d’un diner bien arrosé en son hommage, organisé à New York en septembre 1927, Winsor McCay- pionnier des bandes dessinées modernes et du film de dessins animés – est invité par Max Fleischer (Betty Boop, Popeye, Superman, etc.) à prendre la parole. Dans un premier temps, l’invité d’honneur prodigue diplomatiquement à ses hôtes quelques conseils techniques et les enjoint à mesurer le potentiel insoupçonné de l’art balbutiant du cinéma animé. Constatant rapidement que son auditoire l’écoute négligemment, McCay s’emballe et déclame :
 « Animation is an art. That is how I conceived it. But as I see, what you fellows have done with it, is making it into a trade. Not an art, but a trade. Bad Luck! »
Un éclair de lucidité que l’on peut traduire de manière poli par :
« J’ai toujours considéré l’animation comme un art. Mais je constate aujourd’hui que vous – ici présents – en avez fait un commerce. Pas un art, un commerce. Quel dommage ! »

Canemaker affirme un peu plus loin sa monographie que McCay a renouvelé publiquement ses propos au moins deux fois, en septembre de la même année au micro de la radio WNAC (future WRKO, Boston) et en novembre suivant dans les pages du supplément féminin du « Evening Journal » (aka News Journal, Delaware) dans un entretien accordé au journaliste Franck Craven.

En 2002, fut publié aux États-Unis le formidable récit de bandes dessinées « The boulevard of broken dreams » (Le boulevard des rêves brisés).
Signé par Kim Deitch (fils de Gene Deitch, électrons libre et dissident radicalement politisé du cartoon animé), cet ouvrage, sorti un an plus tard en France sous le titre « Une tragédie américaine » (Ed. Denoël Graphic), fait de Winsor McCay (renommé malicieusement Winsor Newton) le personnage principal d’une fresque historique à la fois pathétique et cynique postulant l’inéluctabilité de la perversion de l’art par le capitalisme. L’épisode du dîner new-yorkais de 1927 y est réinterprété plus brutalement pour approcher un tant soit peu la profonde désillusion qui frappa McCay à la fin de sa carrière.

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