Un film d’Anna Budanova
Titre anglais : Two Sisters
Année de sortie : 2021
Origine(s) : France, Russie
Where « I want the one I can’t have, and it’s driving me mad, it’s written all over my face ».
Réaction à chaud
La production de ce film a été longue et chaotique* ; la crise COVID a bien failli le compromettre sérieusement ; de l’eau a coulé sous les ponts depuis ma visite, au printemps 2019, du petit atelier à Deauville où Anna Budanova développait son troisième court-métrage. Ce n’est que la semaine dernière que j’ai enfin pu visionner Deux Sœurs, non sans une certaine appréhension suite aux critiques imprégnées de déception de quelques commentateurs avisés qui, comme moi, apprécient et suivent le travail de cette réalisatrice russe depuis ses débuts.
Alors oui, j’y ai observé de minimes faiblesses d’écriture mais rien d’assez préjudiciable pour entamer mon enthousiasme après 14 minutes d’un ballet sauvage très au-dessus de la moyenne des centaines de courts métrages animés que je visionne chaque année.
Bien qu’il soit très différent du film éponyme (Two Sisters en anglais, Entre deux sœurs en français) de Caroline Leaf, c’est à ce court métrage réalisé en 1990 que j’ai pensé pendant les cinq premières minutes du film d’Anna Budanova. L’animation picturale dégagée de tout académisme, la cellule sororale mise à mal par l’arrivée du mâle intrus, le minimalisme brut et expressionniste de la mise en scène, la présence métaphorique d’un extérieur hostile (ici la mer, là la forêt) participent de cette connection entre les deux films, qu’il serait d’ailleurs intéressant de projeter en regard l’un de l’autre (note pour plus tard). Mais très vite les comparaisons – si elles ne sont pas le fruit de projections très subjectives – se sont estompées me laissant profiter pleinement d’une interprétation occidentale non dénuée de pertinence de la “danse du corps obscur” (butô) comme exutoire d’une souffrance identitaire. Et bien que le film d’Anna Budanova n’ait strictement rien à voir avec les événements guerriers en cours, il est assez troublant de pouvoir aussi le lire comme une allégorie politique qui fonctionne parfaitement bien. Testez, vous verrez.
Quoi qu’il en soit, et sur un plan strictement artistique, la force poétique de l’ensemble l’emporte sur tout le reste. Une poésie incandescente mais terriblement sensuelle sublimée par une animation “incarnée”, c’est-à-dire visant à faire ressentir les palpitations joyeuses ou violentes des chairs, une mise en mouvements dont le mérite revient aux formidables Svetlana Filippova et Anastasia Melikhova, par ailleurs réalisatrices surdouées. C’est très probablement cette sensibilité à fleur de peau, exacerbée par l’encre et le pinceau sec, qui me séduit tant, depuis Among The Black Waves, dans le cinéma animé d’Anna Budanova.
J’ai revu dans la foulée Genius Loci que j’avais déjà trouvé symptomatique d’une animation française d’auteur ampoulée, prétentieuse, maniériste jusqu’au ridicule et néanmoins consensuellement encensée. Je le pense d’autant plus aujourd’hui en revisionnant dans ma tête ce qui me reste de Deux Sœurs, à savoir quasiment tous les plans du film.
Une vidéo enregistrée à l’occasion de l’édition 2022 du festival d’Annecy
(Whaouh ! Quels impressionnants progrès en français ! Bravo Anna !)
* extrait du carnet de croquis d’Anna Budanova pendant la production de Deux Sœurs
Toutes les images de cet article sont © Anna Budanova / Imaka Films et sont visibles sur le site web de la cinéaste ici.
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