J’ai pris la liberté de reproduire ci-dessous l’intégralité du texte rédigé par Alexandre Alexeieff en 1978 (1), pour deux raisons.
Il fait à la fois une magnifique publicité à son œuvre ciné-graphique incomparable et aux différents ouvrages qui collectent ses écrits ou commentent sa biographie.
Cet « éloge » connecte par ailleurs une pensée visionnaire, voire quasi-prophétique, aux enjeux culturels fondamentaux face auxquels les créateurs d’images – statiques et mobiles – sont plus que jamais confrontés aujourd’hui. Autrement dit, dans l’océan de signaux et de données numériques qui leur tient lieu de biotope, les artistes, artisans et techniciens qui façonnent le paysage audiovisuel du 21e siècle ont tout à gagner à digérer les propos d’Alexandre Alexeieff.
Par souci de pédagogie, j’ai surligné en gras les segments qui me semblent résonner le plus directement avec les préoccupations et les dénis débattus avec si peu d’acuité et de bon sens citoyen dans le cadre des arbitrages actuels – économiques, stratégiques, sociétaux – en matière de politique culturelle et d’éducation aux arts, à l’image, au pixel (dont Alexeieff fut en quelque sorte l’inventeur).
Ces bribes mises en exergue questionnent bien sûr avant tout le statut passé, présent et futur de « l’Animation », qu’Alexandre Alexeieff se plaisait à écrire avec un grand « A ».
Mieux, elles pointent des éléments de réponses critiques à la contestable et néanmoins pérenne déconsidération publique dont souffre encore le cinéma d’animation non-industriel, à son rapport au « réel objectif », à sa relation aux médias de sa diffusion et de sa promotion. Elles interrogent son devenir : « l’avenir du cinéma » affirment certains.
Je précise enfin que les styles typographiques utilisés (usage de la ponctuation, des majuscules, de l’italique, des tirets, des guillemets, etc.) respectent ceux du texte d’origine.
Bonne lecture.
Éloge du film d’animation
Dans une calèche au Bois de Boulogne, Serge de Diaghilev à Jean Cocteau : « Étonne-moi ! »
Lors du vernissage de son exposition, Louis Pasteur à Odilon Redon : « Vos monstres sont viables !«
De toutes les espèces animales, l’homme est sans doute la seule à mettre ses facultés à l’épreuve lui-même, afin de battre ses propres records (aurait-on jamais vu une biche s’entraîner à sauter une même barrière afin de se surpasser ?). Oui, la nature de l’homme est celle d’un challenger ! Dont chaque nouvel exploit présente à lui-même un nouveau défi.
L’Antiquité classique en prit conscience en organisant les Jeux Olympiques ; elle fit davantage en défiant les générations futures par l’invention d’exploits de héros fictifs, sous forme de métaphores déguisées en mythes.
Notre siècle n’a pas manqué de se reconnaître dans l’image d’Icare, sans remarquer celle de Prométhée qui modela dans du limon des semblants d’êtres humains en leur insufflant la vie.
Or, depuis les peintures d’Altamira jusqu’aux toiles de Balla, les peintres s’étaient efforcés de créer des formes VIVANTES. Ils ne sont pas parvenus à rendre le mouvement, mais seulement l’idée du mouvement.
Bas-relief dit « La création de l’homme par Prométhée » (IIIe siècle av. JC – Musée du Louvre, Paris)
« Dynamisme d’un chien en laisse » de Giacomo Balla (1912)
Cependant, il avait fallu que les peintres italiens introduisent dans l’image à deux dimensions l’illusion de la troisième – de la profondeur – grâce à l’invention de la perspective au XVe siècle.
Mais il fallu attendre la fin du XIXe siècle pour voir l’image à deux dimensions (déjà mise en perspective) se doter de la quatrième dimension : d’un MOUVEMENT FICTIF MAIS ÉVIDENT, avant même que l’homme n’apprenne à voler.
Ça s’est passé en 1892, à Paris – trois ans avant la présentation du cinématographe. Le Prométhée s’appelait Émile Reynaud, et personne ne semble avoir compris la véritable signification de son invention ; comme H.G. Wells l’a constaté : « lorsqu’une chose est assez étrange et assez grande, personne ne la perçoit ».
Depuis Émile Reynaud il existe quelques hommes capables de créer des images vivantes – et personne ne s’étonne… Quelles en sont les raisons ?
Le FILM D’ANIMATION est victime d’une erreur de classification – ou plutôt de deux erreurs. L’une consiste à le confondre avec le Dessin Animé (comme on confondrait un avion avec un cerf-volant) et la seconde – à la considérer comme une sorte de « cinéma », alors qu’il pourrait s’agir tout aussi bien de PEINTURE, de DESSIN, de GRAVURE ou même de SCULPTURE en mouvement. (Considère-t-on un portrait peint à l’huile comme une sorte de photographie ?)
Cette confusion entre l’ANIMATION et le « cinéma » date de la première projection cinématographique des frères Lumière à Paris en 1895. Or, Émile Reynaud montrait son THÉÂTRE OPTIQUE au musée Grévin déjà depuis 1892. Toutes les images de Reynaud étaient dessinées à la main. On assure que l’invention du « cinéma » était couverte par l’invention de Reynaud, qui manqua d’argent pour faire un procès aux frères Lumière – et le gagner. Quoi qu’il en soit, il est légitime de considérer le cinéma comme un cas particulier d’animation – une sorte de substitut industriel bon marché, destiné à remplacer la synthèse d’œuvres de l’esprit d’un artiste tel qu’Émile Reynaud par la photographie de modèles humains en mouvement.
Deux phases dessinées d’une action, extraites du ruban de « Pantomimes lumineuses » d’Émile Reynaud, connu sous le titre Autour d’une cabine comme l’un des premiers « film d’animation ».
Il faut se rappeler que la photographie elle-même était encore assez récente pour qu’on comprenne en quoi elle n’est pas un art : n’oublions pas qu’en ce temps et encore beaucoup plus tard les photographes aimaient se vêtir en « artistes », de coiffant de chapeaux « Rembrandt » et de cravates « Lavallière », comme les artistes peintres. Nadar se sentait proche de Manet. En vérité il est possible de pratiquer la photographie avec art comme il est possible de pratiquer la peinture de chevalet en tant qu’artisanat. Il reste cependant une différence essentielle entre l’œuvre d’un photographe comme Nadar, qui choisit son modèle et bien d’autres choses encore, – mais sans filtrer les détails « indifférents » par une prise de conscience du sens et de la forme de tous les détails utilisés, comme le fait un Manet, qui n’est pas concerné par « la nature » – mais par l’idée que lui – Manet – se fait de cette nature.
Il faut se souvenir de la grande naïveté du public lorsqu’il vit des photographies pour la première fois : on l’imagine s’écrier avec enthousiasme à la vue de TOUS LES DÉTAILS reproduits mécaniquement, sans aucun choix : « voici la bague au doigt de Maman, et voici la verrue sur le nez de Papa, et voici la mouche sur la soucoupe ». Comment s’étonner d’une telle incompréhension des œuvres d’art, alors qu’on entend des remarques aussi naïves même aujourd’hui ?…
Ainsi fut-on étonné de voir L’Arrivée du Train à La Ciotat au premier cinéma – d’un VRAI TRAIN ! (Vrai – car la photographie est « vraie »). Ainsi s’ouvrit le problème dont l’humanité n’est pas encore sortie : qu’est-ce que la réalité ? Qu’entend-on par « réalité objective » ? Je traite ailleurs de l’absence de tout rapport entre l’image plate d’une vue photographique monoculaire et la connaissance binoculaire du monde qui est celle de l’homme. Entre les deux le seul rapport possible est celui qui passe par les mots : « il y a même la mouche… » (un rapport faux et triste parce que bête, dès que la présence de la mouche est fortuite. En art, il n’y a pas de place pour le superflu et dans la photographie presque tout est superflu).
Si les scènes de panique de spectateurs face à l’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1895) ont probablement été exagérées à des fins publicitaires, l’effet de réel provoqué par l’angle de vue de la caméra a vraisemblablement favoriser l’empathie, voire « l’immersion » des primo-spectateurs de cinéma, dans des proportions difficilement imaginables au 21e siècle.
La cinématographie des frères Lumière éclipsa donc le plus facilement du monde l’Animation d’Émile Reynaud : le produit industriel l’emporta facilement sur l’œuvre de l’esprit, parce qu’il se révéla meilleur marché. La prolifération du « cinéma » photographié fut telle que les dessins d’Émile Cohl ne purent être montrés que dans les salles publiques équipées de projecteurs « cinématographiques », ce qui ne manqua pas de les classer parmi les films « de cinéma », en tant que variété – bizarre il est vrai – mais variété de « cinéma ». Ainsi fut consommée l’une des deux erreurs de classification de l’Animation.
Une fois que le dessin animé de Cohl fut considéré comme un cas particulier de « cinéma », l’œuvre de Reynaud trouva une sorte de survie. De nombreux hommes de talent firent beaucoup de dessins animés, tout en se servant des salles de cinéma pour montrer leurs dessins enregistrés sur de la pellicule « standard », à la vitesse de 24 images-seconde, elle aussi « standard ». En un mot, le frère aîné du cinéma accepta le rôle du frère cadet. Mais les dessinanimistes n’avaient jamais plus le caractère de Reynaud qui était un inventeur avant d’être un dessinateur. Et lorsque quelques artistes, européens pour la plupart, eurent l’idée de faire du film d’animation non-industrialisé, du film d’animation conscient de sa mission d’un grand art nouveau, il fut traité de « dessin animé », à l’égal de la caricature industrialisée fabriquée à la chaîne pour pouvoir survivre à la concurrence des prix du film-photo. Mais petit à petit le film d’animation rechercha des techniques nouvelles adaptées à la création d’œuvres individuelles ; les œuvres de ces artistes-animateurs se firent connaître et depuis une vingtaine d’années le public commence à savoir qu’il existe un art plastique en mouvement qui s’appelle « cinéma d’animation », qui « vient de naître ».
Or lorsqu’une demande de brevet est déposée, il est d’usage d’y joindre une liste de revendications – tous comme on joignait les « claims » lors du dépôt d’une demande de droit exclusif d’exploitation d’une veine aurifère. Plus le nombre de « claims » d’un brevet est élevé – et plus une invention est importante.
Mais c’est justement la variété des applications possibles de l’Animation qui rend sa classification si difficile. Comment faire entrer le vin nouveau de l’Animation dans les vieilles outres périmées, tels les cinémas, les galeries de tableaux, la télévision ou les musées ?
Les directeurs de cinémas ne voient pas de rapport entre l’Animation et les longs métrages photographiques de théâtre filmé, dont leur public vient voir les vedettes vantées par les affiches et par la presse. Les programmateurs de télévision ne trouvent pas dans les fictions animées les vertus de la reproduction directe et immédiate des événements réels, tels des couronnements, des révolutions, des hold-ups, etc., qui est la vocation fondamentale de la télévision, n’est-ce pas ? Les marchands de tableaux – gens sérieux s’il en fut – cherchent « la signature » et demandant où se trouvent « l’œuvre originale (a) » ? Non : les collectionneurs et les marchands n’achètent pas et ne vendent pas des « fictions » ! Il leur faut des biens matériels qu’on peut mesurer, et même parfois peser !
Quant aux directeurs des musées de peinture, ils assimilent le dessin animé aux jouets ( » et d’ailleurs il n’y a pas de projecteurs dans les musées, car où il y a électricité, il y a danger d’incendie… »).
L’absence des films d’animation des collections d’automates, telles que le musées des Arts et Métiers de Paris par exemple est plus difficile à expliquer.
Doit-on espérer que les vidéos-cassettes apporteront à l’Animation le moyen de diffusion dont elle a besoin (b) ?
Quels sont donc les « claims » de l’Animation ?
Avant de faire l’éloge de l’animation, constatons le changement des valeurs qui s’est opéré dans notre société à l’égard des spectateurs en général depuis 50 ou 150 ans.
S’il était facile d’étonner le public avec des marionnettes à fil, des éléphants savants, des tabatières musicales ou le canard mécanique de Vaucanson mangeant, digérant et évacuant la nourriture – c’est que le public aimait être étonné. Il est probable que le public actuel n’est pas moins naïf qu’il fut – mais il aime se montrer « averti ». En faisant l’éloge de l’Animation je devrai donc me garder d’expressions vieillottes comme « miracle » ou « magie ».
Le « canard digérateur », automate fabriqué par Jacques de Vaucanson en 1738.
JE VAIS FAIRE L’ÉLOGE DE L’ANIMATION – ŒUVRE PURE DE L’ESPRIT.
L’Animation, qui a trouvé de nombreuses techniques de réalisation, se présente comme une méthode de création de mouvement « image par image » quelle que soit la technique employée. Lorsque le mot CRÉATION est prononcé il y a évidemment surenchère, car l’homme ne peut rien créer : ni pierres, ni plantes, ni animaux. Le mot désigne plutôt une manipulation, un arrangement de choses existantes. Tel est le cas du film-photo par exemple, lorsque le metteur en scène choisi tel acteur, telle pose, telle mimique, tel éclairage, tel angle, etc. On se doute que d’un tel répertoire le choix ne peut être que limité et ne correspond à la volonté créatrice du metteur en scène que de loin.
Une fois choisies et arrangées plus ou moins pour le mieux, ces composantes passent dans le résultat final telles que, sans que le metteur en scène puisse prendre conscience de ces composantes en les analysant, même en tant que spectateur plutôt impuissant.
Ainsi, la réalisation du film en direct est facile, rapide et abondante… que peut souhaiter de mieux le demi-siècle obsédé par les notions de quantité et de vitesse ? Si telles sont les obsessions des producteurs – celles du public leurs sont-elles parallèles ? Rien n’est moins sûr.
L’on sait la baisse régulière de le fréquentation des salles de cinéma, que l’on explique par la concurrence nouvelle de la télévision ; cette explication est-elle suffisante ? Que faut-il penser de la vague des productions de films violents ou pornographiques ?
Il semblerait que tout se passe au cinéma comme si tous les moyens étaient devenus bons pour attirer le public. Si l’on se souvient que la vague de la pornographie avait été précédée par deux décades de toutes sortes d’inventions techniques de peu d’intérêt telles que l’écran large, puis des « ramas », des écrans circulaires, etc., on est dans le droit de supposer que l’industrie cinématographique s’aperçoit d’avoir épuisé l’intérêt de nouveautés qui avait été le sien et ne parvient plus à trouver par quoi attirer un public blasé, saturé, devenu indifférent.
Si l’on compte les films à succès public, on peut remarquer qu’en dehors de la violence et de la pornographie ce sont des sujets inhabituels, tels que prises de vues sous-marines, des volcans en éruption, – en un mot des sujets inhabituels qui intéressent le public, et il est déjà manifeste que le jour n’est plus loin où l’on se lassera des mitraillettes et des nudités. Pour être bref, le répertoire du cinéma photographique est limité et proche d’être épuisé. Après tout, les portières qui claquent, les autos qui démarrent, qui arrivent, les costumes des mousquetaires et des cow-boys, les uppercuts de Belmondo, l’anatomie des hommes et des femmes n’offrent que peu de variétés.
Au contraire du cinéma direct, la matière première dans laquelle l’Animateur puise les éléments de son œuvre future se compose UNIQUEMENT DES IDÉES HUMAINES, d’idées que l’homme, les hommes différents, se font des choses, des êtres vivants, de leurs forme, de leurs mouvements, de leur signification. Ces idées, ils les représentent par des images faites de leurs mains. Dans l’enchaînement causal de leurs images concertées par eux, rien ne peut être laissé au hasard. De ce fait, la réalisation des œuvres prend un temps excessivement long, hors de toute proportion avec le cinéma direct. Mais le répertoire des idées humaines est inépuisable !
Café-concert (à La Gaîté Rochechouart), dessin de Georges Seurat (1887-1888)
Pour les animateurs de ma génération, cette lenteur a constitué un très grave handicap. La barbare exigence de rentabilité immédiate mit les films d’animation hors circuit. Mais les temps changent et voici que la progression des loisirs ne manquera plus de reléguer au passé la hâte inattentive du demi-siècle écoulé parmi les vestiges surannés de la superproduction sauvage. Ainsi la même économie qui avait incité les entreprises à se cantonner dans du va-vite finira par obliger les administrations à changer d’idée, à comprendre que la rentabilité a toujours été étrangère aux activités vraiment importantes, telles les découvertes et les inventions. Et quelles sont les œuvres d’art qui ne sont pas des inventions ? De telles œuvres ne s’appellent-elles pas : copies ou plagiats ?
Cinquante ans de pratique alternée de gravure, d’illustrations et d’animation de films m’ont enseigné les valeurs respectives de la culture dite de Gutenberg (stabile) et de la moderne : mobile. Jamais la seconde ne pourra remplacer la première et vice-versa. Tout en restant complémentaires entre elles, elles resteront incomparables et irremplaçables, représentant deux démarches de l’esprit opposées l’une à l’autre.
Pour l’artiste, l’Animation représente une discipline toute nouvelle. Morale d’abord : l’idée du peintre de chevalet de serrer avidement dans ses cartons ses moindres croquis, dans l’espoir de les vendre un jour, est étrangère à l’animateur. Un film de 12 minutes comporte environ 16 000 images. Les plus grands maîtres ont-ils fait autant de dessins au cours de leurs vies entières ? L’animateur n’a donc pas le temps pour « La vie de Bohème ».
Lorsque je compose une illustration, je cherche les poses campées les plus avantageuse ; j’évite les angles difficiles, les raccourcis ingrats. En animant un film je ne puis omettre aucun des aspects par lesquels la logique du mouvement m’oblige à passer. Il me faut étudier bien des choses dont le peintre se dispense : il me faut connaître l’optique, l’optique physiologique, la psychologie, la neuropsychologie de la perception visuelle (excusez-moi mais ça s’appelle ainsi), la sensitométrie et la musique (j’en oublie)…
En animant les pendules composés pour tracer des figures abstraites, j’ai repris le cours de physique élémentaire. En plus j’ai appris que l’homme a trois manières de percevoir les objets en mouvement, selon leurs vitesses par rapport à quelque chose que je ne saurais expliquer, que j’ai dû appeler « vitesse d’observation ». Les types de ces modes d’observation sont : l’hélice d’avion perçue comme un disque translucide et brillant, « totalisé ». La lune qu’on ne voit bouger (mais qu’on peut « totaliser » par une longue pose photographique), et enfin la vision que tout le monde connaît, qui aperçoit et la forme de l’objet, et son mouvement (que la photo peut « totaliser » aussi).
« Solide illusoire » obtenu par « totalisation », extrait du film publicitaire Constance (1957)
La TOTALISATION m’a enseigné la relativité des notions de la vitesse et de la forme des objets. Je peux affirmer que l’Animation enseigne à mieux connaître la façon dont l’homme voit et pense. Elle m’a permis d’entrer dans la vraie 4e dimension, m’ouvrant un univers inconnu, dont je me suis servi pour réaliser des effets nouveaux.
De même que la peinture développe la conscience des couleurs, des valeurs et des formes, l’animation développe la conscience des mouvements et des durées. Je passe des moments exquis dans mon petit jardin à observer le jeu des milliers de petits soleils flous dont le feuillage de mon tilleul a filtré les images. La moindre brise imprime à cette fête des chorégraphies inaperçues par vous, parce que vous ne faites pas d’animation.
Mais la jeunesse ne se contente plus de voir des films d’animation : elle veut en faire. Combien elle a raison ! Puisse la nouvelle génération réformer l’économie de la société future de manière à mettre à l’honneur « l’ouvrage bien faite », comme disait la maman de Péguy.
Tel est le challenge !
En tous cas mes adieux avec l’animation ont été des adieux d’amour.
Silhouettes d’Alexandre Alexeïeff et de Claire Parker devant l’écran d’épingles, avec la dernière image de leur dernier film Trois thèmes (Collection CNC, vers 1980)
Notes internes au texte
(a) Pour les animateurs de films – c’est le mouvement qui a lieu sur l’écran POUR LA PREMIÈRE FOIS qui est l’œuvre originale, par opposition au « film-photo » qui se contente d’analyser photomécaniquement des événements réels que la synthèse sur l’écran restitue en tant que du déjà vu.
(b) Car, qui voudrait acheter des long-métrages [sic, ndr] pour les revoir chez soi une trentaine de fois ?
Notes extérieures au texte
(1) Préface d’Alexandre Alexeieff pour le livre « Poppoline e pio – Cinema d’animazione dal 1888 al giorni nostri » de Giannalberto Bendazzi (1978)
Traduction de Geneviève Vidal dans « Le film d’animation. Du dessin animé à l’image de synthèse » (Tome 1, Ed. La pensée sauvage, 1985)
Texte republié dans « Écrits et entretiens sur l’art et l’animation (1926-1981) » (PUV, « Esthétiques hors cadre », 2016)
• La photographie recadrée en en-tête de cet article montre par un habile montage le travail d’un côté et de l’autre de l’écran d’épingles d’Alexandre Alexeieff et de son épouse, Claire Parker, pour la réalisation d’illustrations ou de films.
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