En attendant Kaguya hime no monogatari

kaguya01

Alors que la blogosphère reprend en chœur l’annonce de la énième pseudo-retraite de Hayao Miyazaki (l’actualité du cinéma d’animation est-elle à ce point si pauvre !), alors que l’effervescence ramollie par la routine gagne le fan club à la perspective de la sortie prochaine de son ultime long métrage, Kaze tachinu (“Le vent se lève” dont les communicants doivent s’arracher les cheveux dans la définition d’une stratégie de distribution rentable ! ), alors, donc, que tous les regards sont tournés vers Miyazaki san, je scrute plus volontiers le peu de miettes que nous livre au compte-gouttes Ghibli sur le long métrage d’Isao Takahata, qui devrait autrement chahuter les conventions du film d’animation de dessins animés familial, c’est à dire discrètement mais sûrement.
On sait depuis plusieurs années maintenant que le conte traditionnel japonais du coupeur de bambous fait l’objet de cette nouvelle adaptation (Le conte de la Princesse Kaguya), laquelle pousse un peu plus loin les limites de la technique d’animation utilisée en 1998 pour Mes voisins les Yamadas. Rappelons que cette approche graphique novatrice avait valu au cinéaste le soulèvement d’une partie de l’effectif du studio qui ne croyait pas que cette démarche puisse ne serait-ce que fonctionner sur quelques minutes. On peut constater à l’examen des quelques images en haute résolution qui circulent par-ci, par là, que la qualité de restitution des tracés manuels et des aplats d’aquarelles a largement été perfectionnée, confirmant là le positionnement anticonformiste d’Isao Takahata vis-à-vis de l’esthétique standardisée des productions Ghibli.

L’autre prouesse que constitue ce projet réside dans un détail de fond tout à fait représentatif de la singularité artistique d’Isao Takahata, en l’occurrence la reconstitution graphique d’une époque précise de l’Histoire japonaise, celle dite “de Heian” (8e au 12e siècle). Il faut savoir qu’il n’existe quasiment aucune trace documentaire de cette époque, susceptible d’aider cette reconstitution. Les seules sources d’inspiration sur lesquelles Isao Takahata a donc pu s’appuyer sont (je vous le donne en mille) les rouleaux enluminés (cf. les articles de ce blog concernant ce sujet) et en particulier celui du Grand Conseiller Ban qui contient une importante quantité de personnages représentés dans des postures et des costumes typiques de ce “Haut-Moyen Âge”, considéré à bien des égard comme un “âge d’or” culturel et politique. De plus, il faut ajouter à la difficulté le fait que le récit de ce film se déroule en grande partie en milieu rural, donc hors de l’environnement impérial, lequel était le seul à bénéficier d’une représentation graphique dans les rouleaux peints. Vous suivez ?

Je n’oublierais jamais le rictus du cinéaste lorsque l’un de ses collaborateurs m’expliquait, en sa présence, la “folie de cet homme” qui, à presque 74 ans (c’était en 2009), décidait d’affronter l’Everest en compliquant sa progression avec de tels poids de lestage. D’aucuns déduiront peut-être de cette anecdote-qui-en-dit-long une forme de zèle, là où il n’y a qu’un perfectionnisme obstiné dont trop peu de cinéastes dans ce domaine sont dotés. Précisons à toutes fins utiles que le “Conte de coupeur de bambous” (Taketori monogatari), est attribué à la célèbre Dame de cour Murasaki Shikibu et aurait été écrit justement au tout début de l’ère de Heian.

Ceci expliquant sans doute cela.

Pour terminer ce billet, je vous engage à visionner le superbe long métrage de Sunao Katabushi, Mai Mai Miracle, sorti directement en DVD en 2010. Vous y verrez notamment comment ce réalisateur y traite les segments de son récit qui se déroulent à l’époque de Heian. Vous disposerez ainsi d’une première base pour apprécier le degré de fidélité ou d’extrapolation dont Takahata et lui ont du respectivement faire preuve pour réussir à recréer un contexte historique presque totalement disparu et visuellement inconnu.
En attendant la sortie française de son dernier film (sans doute pas avant le printemps 2014), revoyez donc à l’occasion Mes voisins les Yamada au sein duquel Isao Takahata glissait déjà un beau clin d’œil à la Princesse Kaguya.

yamada_taketori
©  1999 Hisaichi Ishii – Hatake Jimusho – TGNHB – Tous droits réservés

> Quelques images animées de Kaguya hime no monogatari

anima