En parler pour ne rien dire

 

 

Voilà, puisqu’il faut bien exister médiatiquement, je vous livre, voilà, MON expertise à moi d’expert ès-miyazacologie au sujet, voilà, de l’ultime long métrage du pape des dessins animés contemporains. Une expertise experte qui va effectivement, voilà, totalement bouleverser votre existence, voilà.

 

Un garçon, un vieux monsieur et une grosse pierre flottante

 

Le sujet

Le douzième long métrage de dessins animés réalisé à un peu plus de 81 ans par Hayao Miyazaki, est l’adaptation très libre du recueil «Et vous, comment vivrez-vous ?» de Genzaburô YOSHINO.
Publié pour la première fois en 1937, dans un Japon impérialiste et expansionniste, en pleine montée du nazisme occidental déclencheur d’une guerre mondiale imminente, censuré pour anti-patriotisme et réédité des dizaines de fois dans son pays d’origine, ce manifeste best-seller est un véritable manuel d’apprentissage des êtres humains à vivre en harmonie.
C’est donc à un classique de la littérature japonaise que se mesure le cinéaste pour parachever son exceptionnelle filmographie.
Que reste-il du texte initial dans le film ? Cette question intéresse quelqu’un ?

 

Un garçon blessé avec des bandelettes

 

Le titre

Le titre japonais du livre et du film, 君たちはどう生きるか (Kimitachi wa dō ikiru ka), se traduit communément par « Comment vivez-vous ? ».
Une traduction française plus littérale et plus fidèle à l’adresse faite au lecteur, propose « Et vous, comment vivrez-vous ? » (cf. traduction de Patrick Honoré pour la publication aux Editions Picquier). Dans les deux cas, la reprise d’un tel titre interrogatif pour une exploitation du film hors du Japon, où quasiment personne ne connaît le recueil de Yoshino, constituerait un sérieux risque commercial pour les distributeurs de l’œuvre et pour les médias – France Inter en tête – appelés à le promouvoir. Les nord-américains ayant été les premiers à dégainer le film dans leurs multiplex, un consensuel, simpliste et très disneyien « The Boy and the Heron » a été sorti du chapeau, avec l’aval du Studio Ghibli. Raisonnablement, le distributeur français, Wild Bunch, a opté pour Le garçon et le héron, titre qui facilitera à n’en point douter, sa stratégie de communication périlleuse, ciblée vers le plus large public possible. Des esprits mal tournés ont bien essayé d’imposer « Le gros caillou dans le ciel » et « Le voyage de Mahito » mais ils ont fait un bide.

 

Un héron avec un nez et une bouche humaine dans son bec

 

Le récit

Parce qu’effectivement, c’est l’histoire de Mahito, garçon de 12 ans endeuillé au cœur de la deuxième guerre mondiale. Il trouvera une partie des solutions pour surmonter son chagrin dans un monde magique, une sorte de réalité parallèle, entraîné par un bonhomme au gros nez caché dans le corps d’un héron. Je n’en dirais pas plus.
Les pauvres frustré.es du manche trouveront facilement sur Internet les grandes lignes de ce récit – qui aura trop vite fait de leur rappeler le périple initiatique de Chihiro.
Comme je les plains de ne plus savoir attendre.

 

Des perruches multicolores

 

Les ingrédients familiers

Sans surprise, le long métrage arbore de somptueux décors, des effets d’animation sensationnalistes et originaux, une narration alambiquée, des archétypes familièrement extravagants, des clins d’œil nostalgiques, des hommages et diverses auto-citations plus ou moins immédiatement identifiables, un souffle poétique, de l’action, de l’humour, de l’amour, de la violence.
Un sentiment général prédomine après visionnage : le bougre Hayao Miyazaki trône encore très nettement au-dessus de la mêlée.
Serez-vous cependant déçus par ce film tant attendu ? Devrez-vous visionner le film plusieurs fois pour en comprendre le sens ? Quel pendant constituera-t-il vis-à-vis du Vent se lève ?
On verra bien.

 

 

Des vieilles dames et des boîtes de conserves

 

La non-stratégie de communication

Ah que j’aurais aimé être une petite souris pour écouter les réunions de travail qui ont conduit au choix de l’affiche officielle japonaise du film et à la décision d’une stratégie de promotion basée sur une communication minimaliste ! Une stratégie risquée, dont on sait désormais qu’elle aura été plus que payante sur le territoire japonais.
Sur le plan strictement esthétique, l’affiche est probablement la pire jamais conçue par le Studio Ghibli pour l’un de ses longs métrages. Le visuel publicitaire – mystérieux et pas forcément très lisible – est le scan à peine retouché d’un croquis aquarellé de Hayao Miyazaki. Ce dessin semble cadré à la va-vite et la mise en page de l’affiche aurait largement pu être réalisée par un amateur sous Word. Pourquoi pas, après tout.
D’un point de vue strictement technique, ce serait clairement du foutage de gueule, s’il ne s’agissait pas d’une provocation en forme de blague d’initiés, dont l’aspect faussement bancal tranche néanmoins radicalement avec les affiches des films concurrents.
Le distributeur français aura-t-il le courage d’assumer une affiche aussi peu vendeuse ? Rien n’est moins sûr.*

 

 

Sortie française

La date du 1er novembre prochain semble se profiler. Chez les distributeurs de films d’animation ados-adultes déjà planifiés en novembre-décembre 2023, on a commencé à brûler de cierges.
Le film sera-t-il critiqué par la presse spécialisée avec complaisance ou avec objectivité ? La presse généraliste osera-t-elle émettre la moindre réserve ? Quel ioutoubeur analysera le film en premier ? Pomme fera-t-elle une reprise du générique de fin ?
On s’en fiche pas mal, en fait.

 

Un oiseau mal en point

 

Image d’en-tête : des petits êtres (warawara) qui en rappellent d’autres
Toutes les images sont © 2023 Studio Ghibli

 

 

* Addendum du 1er octobre 2023
Tellement prévisible !
Tiens, il manque le pourtant incontournable personnage féminin. Ceci mériterait une sanction pour faute grave…

 

 

 

anima