IA vs IH – un journal de bord (2025)

 

 

(dernière mise à jour : juin 2025)

La suite de mon journal de bord subjectif (cf. première partie) de la résistance de l’Intelligence Humaine (IH) dans sa guerre inégale contre l’Inintelligence Algorithmique Générative (IAG) déclarée en 2022 continue, aujourd’hui plus qu’hier, d’ouvrir quelques petites brèches dans le discours techno-solutionniste ambiant en inventoriant un sélection de pistes de réflexion, voire d’auto-défense contre le grand délestage cognitif en cours.

 


 

Après plusieurs avertissements menaçants, la Walt Disney Company et NBC Universal ont finalement déposé plainte contre start-up d’IA générative Midjourney pour violation massive de droits d’auteur. Selon les deux mastodontes du divertissement, Midjourney exploiteraient le travail créatif de générations d’artistes pour entraîner ses modèle d’IAG et commercialiser les résultats sous forme d’abonnements. Quelles surprise !
Leurs arguments imparables : « Le piratage reste du piratage, avec l’IA ou tout autre technologie. » (Disney) ; « Le vol reste du vol ! » (NBCU).

On l’a vu précédemment la propagation quasi-instantanée et à l’échelle planétaire des détournements d’images « à la manière de… » ou « imitant les figures emblématiques de la pop culture » (à ce stade, principalement étasuniennes et japonaises) fonctionne sur la propension au suivisme moutonnier de l’humain-narcissique-numérique. Ainsi, mécaniquement, les univers visuels les plus fédérateurs de cette pop culture mondialisée – Star Wars, Marvel, Pixar, les princesses Disney, les Simpson, Shrek, les Minions –  se retrouvent pillés, déviés librement, dénaturés, attaqués dans leur intégrité artistique.
Les problématiques posées par ce pillage organisé sont vertigineuses dans la mesure où cet « arbre » cache la forêt d’un héritage culturel mondial menacé de dissolution dans les estomacs algorithmiques pour être évacué après digestion sous forme de bouses, non-fertilisantes et écocides qui plus est. Hypocrite aussi, quand on sait que les mêmes firmes-redresseuses de torts des artistes intègrent déjà les IAG dans leur piplelines de fabrication, de l’écriture à la post-production.

Pour l’heure, les procès à venir constituent la première offensive juridique d’envergure contre l’usage dérégulé des IA génératives. Ils pourraient bien aider la cause des auteurs, artistes, journalistes et autres éditeurs de contenus qui tentent en vain, avec des armes dérisoires, de faire fléchir les nouveaux nababs de la Tech.
A suivre.

 

 

Le 27 mai, à l’occasion de la Journée nationale de la Résistance, le Service d’Information du Gouvernement (SIG) publiait sur les comptes Inst#gr#m et T#kT#k « @gouvernementfr » une courte vidéo à la gloire d’une résistante imaginaire. Cet objet, destiné à toucher les djeuns, très cons comme on le sait tous, a été pondu grâce à un logiciel d’IA générative et illustre de manière ostensible la précipitation, l’inconséquence, sinon l’inculture des apprentis communicants et de leurs donneurs d’ordres qui ont laissé passer un drapeau japonais dans l’arrière plan flouté et, plus grave, un soldat nazi (oups) à l’avant du cortège des libérés.
Un acte manqué ? Une blague de potaches ? Un défi pédagogique ?
La vidéo a été retirée suite aux premiers soubresauts de la webosphère interloquée.

 

 

Mai 2025 n’était pas encore achevé que la plateforme Arte.tv lançait « PhantasIA » la toute première émission du PAF consacrée à la création audiovisuelle avec l’IAG.
Ce programme, en partie expérimental, est conçu par l’unité de création de la chaîne (Studio Arte). Sa présentation est réalisée grâce au détournement NotebookLM, outil d’IAG de podcasts.
Il fallait le faire. C’est la marche du monde, semble-t-il.

Mais cette nouveauté médiatique, de surcroît fort instructive et bien faite, est venue percuter, sur l’unique chaîne qui promeut et co-produit du cinéma d’animation exigeant, l’annonce d’une manifestation interprofessionnelle organisée par une coalition syndicale internationale dans le contexte du Festival International du Film d’Animation d’Annecy où de tels mouvements de contestation sont rarissimes. Le regroupement est prévu le jeudi 12 juin à 14h à l’entrée du Pâquier (face à l’espace Bonlieu, lieu névralgique du festival). Selon la mobilisation, il n’est pas exclu qu’un cortège pousse jusqu’à l’Impérial Palace (site du Marché International du Film d’Animation). Ça aurait de la gueule, assurément.
L’inquiétude, voire la colère épidermique, croît lentement mais sûrement dans le secteur industriel de l’imagerie et en particulier chez qui les jeunes diplômés, tout juste entrés dans / ou sortis d’écoles ruineuses, dans une période de crise, avec des perspectives d’emplois techniques qui fondent comme neige au soleil.
Je posterai ici des photos afin de consigner l’ampleur ou la faiblesse de ce premier acte de militantisme corporatiste potentiellement historique dans le monde de Bisounours de l’animation française, deux ans après la méga-grève des scénaristes étasuniens.
L’appel inter-syndical, relayé notamment par le site 3DVF, explique « l’utilisation des IA génératives demande un cadre de protection éthique et juste pour tous·tes, centré autour d’une compensation, d’un contrôle de l’utilisation des travaux des créateur·ices, et de leur consentement éclairé. »

Addendum (12/06/2025)

 


 

En ce début torride de mai 2025, je découvre cette photo en lisant la dernière newsletter du Pôle Magélis (Angoulême). Celle-ci est extraite de la fin de la conférence « IA et animation 2D – Entre potentiel et réalité » donnée par la chercheuse Stéphanie Cadoret, dans le cadre d’une rencontre organisée par l’école d’animation EMCA le 15 avril dernier.
En voyant ici listés les recommandations de cette experte en (je cite) « animation studies« , je ne peux m’empêcher de relever que ces « compétences à entretenir » pour survivre professionnellement à la contamination des métiers de l’imagerie (bien au-delà du seul secteur de niche de l’animation 2D donc) par les outils numériques boostés à l’IAG, ces compétences sont ni plus ni moins celles qui ne sont quasiment plus enseignées dans les écoles spécialisées. lesquelles priorisent à différents degrés l’apprentissage de savoir-faire pratiques en délaissant ce qu’on appelle communément la « culture générale ».
J’ajoute, pour préciser cette expression aussi vague que galvaudée, que le développement et l’entretien de cette culture générale individuelle – qui ne peut se limiter à la seule culture visuelle – n’est possible que par une astreinte à des lectures diversifiées (fictions, essais, documents techniques, presse, etc.) et à une veille permanente, quel que soit le temps que l’on peut lui octroyer, qui dépasse les seules thématiques inhérentes à son domaine d’activités. Par exemple, se tenir informé.e des avancées politiques, économiques et sociales du secteur des Industries Culturelles dans son vaste ensemble, favorise mécaniquement les compétences cognitives complexes, l’esprit critique, les raisonnements logiques, une lecture éclairée de l’air du temps, l’anticipation des mutations du marché du travail, une meilleure adaptation au travail d’équipe, voire une véritable polyvalence professionnelle, garante de carrière durable, sans lassitude, évolutive et trans-disciplinaire.

Installer ces simples routines de lecture (de documents imprimés pour une meilleur assimilation, nous crient les neuro-scientifiques !) et de veille stimule presque systématiquement les capacités d’idéation (formation, organisation et expression des idées), de conceptualisation (étape profondément humaines inaccessibles à l’IAG) préalable à toute phase de conception, à la mise en forme schématique des concepts imaginés par l’esquisse (rough) plus ou moins élaborée, à la mise en récit (scénarisation linéaire ou non-linéaire, storyboard, animatique, previz…) d’une illustration, d’un film, d’une série, d’un jeu vidéo, d’une œuvre immersive.

Sur le terrain et/ou médiatiquement, nous sommes un certain nombre à nous désoler, tout en profitant de la moindre occasion pour combler un tant soit peu cette lacune sociétale majeure, de l’inculture artistique et de la médiocrité intellectuelle générales (des étudiants aux adultes décisionnaires), et ce depuis bien avant l’arrivée tonitruante des IAG.
Le temps est peut-être enfin venu de voir revenir la culture générale, et les routines qui la stimulent efficacement, au cœur de l’enseignement généraliste et surtout spécialisé.

 



Avril 2025
, le Syndicat des scénaristes (français) publie le texte de l’intervention de Romain Protat, orateur remarqué du « Contre-sommet de l’IA, pour un humanisme de notre temps » (cf. plus bas, février 2025).

« Nous le savons, les IA génératives (IAG) ne sont pas plus «intelligentes» qu’elles ne sont «créatives».
Ce ne sont que des moteurs d’inférences statistiques aux règles déterministes, capables de produire un résultat qu’elles ne comprennent pas elles-même.
Malgré tout, certains scénaristes y voient le Viagra d’un imaginaire fatigué, la Substance, qui leur permettra de tenir un peu plus longtemps, de surfer sur le tsunami plutôt que d’y être englouti.
Mais tous se veulent rassurants quant à son impact sur nos mondes intérieurs.
L’IAG ne serait qu’un aimable partenaire de double, un pongiste virtuel qui simule et stimule. Un produit miracle sans effets secondaire.

C’est faux. Une étude de l’University College de Londres, publiée l’année dernière, prouve que les auteurs qui utilisent l’IAG ont du mal à échapper à ses suggestions et que les histoires écrites à l’aide d’IAG se ressemblent plus entre elles que celles écrites sans.
Les IAG ont bien un effet nocif sur la créativité. Mais pas uniquement.

Les idées ne flottent pas dans un cloud où l’IAG les attraperait avec son filet à papillons. C’est un chalutier au filet dérivant qui après avoir pillé et digéré nos œuvres sans en avoir le droit, accompagne chacune de ses requêtes d’un massacre bien réel des récifs de coraux.

Aujourd’hui, sans recours massif et généralisé à l’IAG, une heure de production audiovisuelle émet déjà 16 tonnes de CO2, soit l’équivalent de deux fois le tour de la Terre en voiture à essence.
Pourtant, l’absurdité des ressources nécessaires pour refroidir les data centers ne semble pas refroidir les ardeurs des agités du prompt.
C’est un écocide au carré, à la fois culturel et environnemental.

Des argument en faveur de l’usage de l’IAG chez les scénaristes, il y en a beaucoup, comme « il n’y a pas à s’inquiéter, les IA ne remplaceront pas les scénaristes », « ce sont les scénaristes qui maîtrisent l’IA qui remplaceront ceux qui ne savent pas s’en servir ».
Admettons. Admettons que ce qui fait la différence entre deux artistes, ce n’est pas leur vision du monde, leur instinct, leur poésie, mais une compétence sur leur profil LinkedIn « maîtrise Excel et ChatGPT » ou leur dextérité dans l’utilisation des raccourcis-clavier de Final Draft.
Admettons que le paysage audiovisuel à venir se divise en deux, ceux qui savent écrire des prompts et ceux qui creusent.

Que certains ne nous voient que comme des imprimantes, avec différents modules selon la marque (plug-in «film d’auteur», extension «comédie policière», option «dessin animé preschool», ça ne me surprend pas.
Mais est-ce comme ça que vous vous voyez vous-même ? Des fournitures de bureau interchangeables, dont le seul espoir de recyclage, si vous ‘êtes pas assez souple pour devenir prof de yoga, est de vendre vous-même des formations à l’IA ?

L’IAG n’est qu’un outil, comme un appareil photo (?)
Non, l’IAG n’est pas qu’un outil, et surtout pas un outil neutre.
Aucun appareil photo ne décide à votre place de ce que vous cadrez. Là où l’IAG vous enferme dans ses biais et ses limites. Un carcan et des œillères idéologiques, politiques, historiques, qui peuvent être mis en place aussi bien par des trilliardaires partisans d’un président orange et fascistoïde, que par le gouvernement d’un pays qui enferme ses opposants dans des camps de travail.

Les IAG permettront des gains de productivité (?)
Qui pourrait être contre les gains de productivité ? Personne. Ma répartition de leur bénéfices, en revanche, ça se discute.
Depuis plus de 40 ans, les gains de productivité se font au détriment des travailleurs et au bénéfice des actionnaires. Sous couvert de la disponibilité de l’IAG, ce pseudo-exosquelette mental, on vous demandera d’écrire deux fois plus vite ou pour deux fois moins d’argent. Probablement, les deux.

Être contre les IAG, c’est être contre le progrès (?)
Ainsi, avoir une vision critique des IAG dans les arts et la culture, ce serait être contre les voitures volantes, contre les sabres laser, contre les lendemains qui chantent.
Ceux qui ne cèdent pas aux sirènes du modernisme seraient du même acabit que ceux qui s’opposaient aux chemins de fer, au téléphone ou à l’Internet.
Bien qu’un des plus faibles et plus usés, ce sophisme est l’un des plus communs. C’est un larsen auto-tuné de l’avatar numérique de Kaa, le serpent du « Livre de la jungle ». « Aie confiance ! Crois en moi ! » et accepte sans craintes les Conditions Générales d’Utilisation et les cookies.

Ne leur déplaise, on peut être contre les SUV tout en étant pour les ambulances.
On peut réfléchir à l’utilité de l’IA dans différents domaines, tout en étant dubitatif quant à l’impérieuse nécessité de gâcher 12 litres d’eau et d’émettre 60 kilos de CO2 pour développer le concept d’une énième série avec «deux enquêteurs que tout oppose». Il est chauve, elle est coiffeuse, ensemble ils combattent le crime ! Perucops ! Perucrime !
En revanche, on ne peut être progressiste sans avoir ouvert un livre d’Histoire et donc avoir une petite idée de ce qui risque d’arriver. Être progressiste n’est pas se précipiter à corps perdu vers une dystopie désincarnée.

Tous ces arguments et bien d’autres ont un point commun : l’absence cruelle de toute notion d’éthique, morale, sociale ou politique. Mais il serait trop facile de blâmer uniquement les individus qui les défendent.
Face à la peur d’être dépassé, aux injonctions contradictoires, au stress, à la curiosité légitime face à un outil qu’on nous promet révolutionnaire, face à toutes ces choses que ne ressentira jamais un moteur d’inférence statistique, se pose avant tout la question de notre responsabilité collective.

Les lois et les règlements, bien que trop souvent rédigés par la main invisible du marché, sont nécessaires.
Mais ils ne sont pas suffisants. Nous devons réfléchir à un ethos, une manière d’être ensemble, face à ces sujets.
Il est de notre devoir de nous armer d’un surmoi éthique, moral et politique en ce qui concerne l’IAG et ses usages.
En tant qu’organisations professionnelles, en tant qu’artistes, en tant qu’êtres humains.
Et je ne parle pas d’un futur lointain.

Dès aujourd’hui, en France, des producteurs demandent à des scénaristes de se contenter de passer un coup de polish sur des textes générés par des IA.
Des sociétés embauchent des prompt engineers grassement payés, tout en nous expliquant qu’ils manquent de fond pour payer les scénaristes, quand bien même ceux-ci maîtriseraient parfaitement l’IAG, d’ailleurs !

Qui est au service de qui quand vous n’êtes plus qu’un relecteur parmi d’autres de votre propre création extrapolée par une machine ?
Homme de paille, uniquement là pour justifier les aides du CNC et donner la réplique.  A partir de quand ce sera nous, les Replicants ?
Alors je ne sais pas si les androïdes rêveront un jour de moutons électriques, mais je jais que pour l’instant, les moutons, c’est nous, les créatrices, les créateurs, les auteurs, les autrices, les artistes, et que sous couvert de progrès inéluctable, beaucoup sont en train d’affûter leurs couteaux en demandant à ChatGPT de dessiner les plans de l’abattoir.

Pour conclure, je dirais à mes camarades scénaristes de réfléchir à ce que l’utilisation des IAG implique.
Je sais que c’est un métier difficile mais nous valons mieux que ça.
Pour trouver l’inspiration, il y a la méditation, le sport, la masturbation, le coup de fil à un ami, le Yi King et plein d’autres choses.
Chacun cherche sa solution, mais je sais que confier notre avenir et notre art à un moteur d’inférence statistique n’est pas la bonne. En attendant, libre à vous de penser ce que vous voulez sur les IAG. Et, avec ou sans leur aide, libre à vous d’écrire ce que vous voulez dans vos scénarios.
Oui, libre à vous de penser ce que vous voulez, et libre à vous d’écrire ce que vous voulez.
Mais pour combien de temps encore ?
»


Mars 2025

Ici ou là, de T#kT#K à Link#In, fleurissent avec le printemps pléthore de bandes annonces parodiques de longs métrages de films en vues continues (Le Seigneur des Anneaux, Interstellar, …) et de photographies ré-interprétées « à la manière du Studio Ghibli » (le faux-Pixar étant déjà passé de mode depuis janvier) grâce aux applications d’IA générative.
C’est rigolo, ça buzz, éblouit l’inculte et scandalise le.la conscientisé.e du pillage et de la négation de l’acte artistique en soi que ces productions vides de sens constituent.

Je m’attarde ici en particulier sur l’esthétique résultant de la synthèse des données ingérées par les modèles d’IAG lesquels, rappelons-le, plagient certes (au mépris des droits élémentaires des auteurs des œuvres originelles) mais ne comprennent absolument rien à ce qu’ils font et encore moins au cheminement intellectuel, émotionnel, social, qui a mené aux dessins animés si authentiquement humains ainsi détournés par des imbéciles heureux. Il est rassurant de constater que cette « manière Ghibli » est beaucoup plus proche des sous-productions du studio japonais (Royaume des chats, Arrietty, Marnie, Ronja) que des réalisations de ses deux cinéastes-fondateurs. Rien d’étonnant à cela, puisque ces films de « série B » tentaient déjà vainement de reproduire la patte et la recette de leurs illustres références sans les avoir profondément comprises – c’est une opinion très personnelle que je n’argumenterais pas ici – en aboutissant à des imitations sans âme, animationnellement tape-à-l’œil, scénaristiquement creuses au possible mais assez aseptisées pour satisfaire le marché (diffuseurs, commerçants, consommateurs, fans béats, …).

Ce moment pénible pour tous les amoureux de l’animation – art de créer par la main humaine, assistée ou non par un ordinateur, des mouvements plausibles pour raconter des choses que la vue réelle peine à saisir – passera aussi vite qu’il est apparu. Lui succédera une autre aberration du même acabit, voire pire. L’inculture généralisée et le déficit criant d’éducation artistique des publics en apparaîtra mécaniquement que plus nécessaire à éradiquer, à palier, à soigner. On peut rêver.

Le 27 mars 2025, le Studio Ghibli semblait vouloir répliquer juridiquement. Et cela pourrait faire très très mal à la trésorerie des pilleurs.
Et, qui sait, éveiller a minima le sens moral des utilisateuristes béât.e.s de l’IAG désormais cautions et complices d’une forfaiture à l’encontre des œuvres qu’ils chérissent et accessoirement des artistes qui les pensent et les offrent en cadeaux à la postérité.


Puis vint le temps où l’on commença à assumer publiquement le terme juste pour qualifier l’imposture…
Ce message, posté sur le réseau Linked In le 11 février 2025 à la suite du « Contre-sommet de l’IA, pour un humanisme de notre temps » organisé en marge du grand raout voulu par le président de la République française (pour vanter notamment les dizaines de milliards de pétro-dollars investis en France), me paraît synthétiser à merveille les « angles morts » de la doxa médiatique, techno-marketing et politicienne quant aux véritables enjeux de la généralisation à marche forcée des outils d’IA Générative dans tous les secteurs professionnels.

 

Au même moment, l’association Le Mouton numérique, « collectif de réflexion techno-critique sur les enjeux que posent les technologies à nos sociétés », publiait son instructive tribune intitulée Intelligence Artificielle : faire front contre la puissance techno-réactionnaire laquelle pointait « le danger qui se cache derrière [la] grande messe diplomatique [du sommet macronien pour l’action sur l’IA] : celui de l’accaparement rhétorique, politique et économique d’une « technologie » par les classes dirigeantes afin de soutenir leurs projets capitalistes, autoritaires et impérialistes dans lesquels l’intérêt des citoyens·nes est complètement écarté. » Une énième voix dissonante et dissidente, polyphonique et étayée, pour tenter de vulgariser le caractère profondément anti-social et politiquement suspect de cette fuite en avant planifiée les deux pieds sur l’accélérateur.

 

 

Février 2025 toujours, la publication de l’étude (non-traduite à ce jour) intitulée « L’impact de l’IA générative sur la pensée critique : auto-déclaration des réductions de l’effort cognitif et des effets sur la confiance en soi d’après une enquête menée auprès de travailleurs des métiers du savoir » par des chercheurs de Microsoft et de la Carnegie-Mellon University (CMU), établissement étasunien depuis longtemps à la pointe de la recherche en matière d’intelligence artificielle, enfonce le clou.
Voici une traduction simplifiée de son résumé (abstract) :
« L’essor de l’IA générative (IAG) dans les flux de travail de la connaissance (enseignement, recherche, production de savoirs) soulève des questions quant à son impact sur les compétences et les pratiques de pensée critique. Nous avons interrogé 319 professionnels du savoir pour déterminer, d’une part, quand et comment ils perçoivent l’intervention de leur pensée critique lorsqu’ils utilisent l’IAG et, d’autre part, quand et pourquoi l’IAG affecte leurs efforts pour le faire.
Les participants ont partagé 936 exemples concrets d’utilisation de l’IAG dans des tâches de travail.
Quantitativement, en tenant compte à la fois des facteurs spécifiques à la tâche et à l’utilisateur, la confiance en soi d’un utilisateur dans la tâche et la confiance en l’IAG s’avèrent prédictives de la mise en œuvre de la pensée critique et de l’effort pour la produire dans les tâches assistées par l’IAG. Plus précisément, une confiance plus élevée dans l’IAG est associée à une pensée moins critique, tandis qu’une confiance en soi plus élevée est associée à une pensée plus critique.
Qualitativement, l’IAG déplace la nature de la pensée critique vers la vérification des informations, l’intégration des réponses et la gestion des tâches.
Nos connaissances révèlent de nouveaux défis et opportunités de conception pour développer des outils d’IAG pour le travail intellectuel. »

Autrement dit, l’utilisation pour des tâches intellectuelles des outils d’IAG entraîne la détérioration – voire l’anesthésie – des facultés cognitives utiles au développement et au maintien de la pensée critique, laquelle est vitale à l’être humain pour pacifier sa vie en société.
Plus simplement encore, le recours systématisé à cette technologie favorise la paresse cérébrale et constitue un sérieux exhausteur de « connerie naturelle » (j’emprunte la formule au « Canard enchaîné » du 19/02/205).

Qu’en est-il pour les individus qui ne sont pas déjà rompus aux tâches intellectuelles élémentaires – lecture et compréhension d’un texte, capacité de synthèse, vérification des informations discutables, élaboration d’une analyse critique, etc. – de plus en plus vitales pour résister à l’appauvrissement culturel généralisé et à la profusion de la désinformation massive organisée ?

 


Image d’en-tête : extrait de l’illustration de la newsletter de Luiza Jarovsky « DeepSeek’s Legal Pitfalls » (Les pièges juridiques de DeepSeek), du 2 février 2025.

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