Inu-Ō

 

Un film de Masaaki Yuasa
Traduction : Le Roi-Chien
Année de sortie : 2021
Origine(s) : Japon
Sortie française : 23 novembre 2022

 

« Depuis combien de temps mon esprit seul existe ? »

 

Réaction à chaud

Le prodige des dessins animés japonais d’avant-garde, Masaaki YUASA*, atteint un nouveau stade de sa folie visuelle et narrative, avec cette virtuose et néanmoins déroutante adaptation du roman de Hideo Furukawa, “Le Roi-Chien”. Virtuose par sa mise en scène en apparence sauvage, étayée par une animation à la fois élastique (squash and stretch poussé à l’extrême) et solidement “réaliste”. Déroutante par sa multiplicité de points de vue qui aura vite fait de perdre le spectateur inaccoutumé à être bringuebalé sans véritable répit entre subjectivité et objectivité.
Il n’est donc pas vain de vous apporter quelques clés de compréhension qui pourront s’avérer utiles lors de votre découverte de ce film hors normes.

Le “Dit du Heike” (ou Heike monogatari) est une épopée guerrière transmise oralement par des moines aveugles depuis le XIIe siècle. Ces moines parcouraient le Japon et chantaient les épisodes de cette saga mythique à qui voulait les entendre, en s’accompagnant au biwa (luth japonais aux cordes de soie). La prose du Heike fut ensuite calligraphiée et déclinée notamment sur des rouleaux enluminés. Avec le “Dit du Genji”, le “Dit du Heike” est considéré comme l’une des plus anciennes œuvres de la littérature mondiale, et comme un monument de la littérature médiévale nippone.

En 1185, deux des quatre clans ennemis qui se disputaient le contrôle du Japon, Minamoto et Taira, se sont livrés une lutte acharnée – la guerre de Genpei – jusqu’à la bataille navale de Dan-no-ura, à l’issue de laquelle le clan Taira fut défait. Le long métrage Inu-Ô (prononcez “inou – oo”**) débute cent cinquante ans plus tard. Tomona, fils d’un pêcheur-plongeur, vit à Dan-no-ura et explore régulièrement les vestiges sous-marins des affrontements passés. Poussé par des individus venus de la capitale impériale, il plonge avec son père pour récupérer une épée sacrée perdue pendant la grande bataille. A la sortie de l’arme de son fourreau, l’éclat magique de la lame éventre le père et aveugle définitivement le fils. Et l’épée disparaît de nouveau dans les profondeurs.
Tomona grandit et part pour Kyôtô où il devient joueur de biwa. Il y fait la connaissance du «Roi Chien», être monstrueux et masqué qui pratique brillamment la danse et des gestuelles anachroniques (comme la moonwalk) pourtant peu adaptées à ses difformités physiques !
Inuô et Tomona forment un groupe pour chanter le récit héroïque de la guerre des Taira et des Minamoto. Leur musique s’apparente à un hard rock euphorique qui n’est pas sans évoquer le lyrisme kitsch de Queen. A mesure que s’apaise, grâce à leurs chansons populaires, l’esprit de vengeance des vaincus, Inuô recouvre progressivement sa forme humaine. Mais la rancœur de certains aura raison de Tomona, renommé entre temps Tomo’ichi puis Tomoari, dans une scène d’exécution mémorable.

Inuô aurait vraiment existé. Selon l’écrivain Furukawa, qui l’indique en exergue de son roman, il aurait été “auteur et acteur de [théâtre] nô de la période des cours du Nord et du Sud et de la période Muromashi qui la suivit. Aimé du troisième shôgun Ashikaga Yoshimitsu, qui fut son mécène […]. Une chronique de l’époque rapporte qu’à son décès [en 1413, ndr], « une nuée de violettes s’éleva vers le ciel ». Il est l’auteur d’un nombre considérable d’ouvrages, dont aucun ne nous est parvenu.”

Furukawa présente plus loin Inuô comme “acteur de sarukagu” (singeries). L’hypothèse d’une mise en abyme des clowneries exubérantes de “Science Saru” (singe-cobaye), le studio cofondé par Yuasa, ne peut être totalement exclue.

 

Une longue intervention de Masaaki Yuasa à Annecy en juin 2022, au cours de laquelle il ne dit presque rien de Inu-Ô :

 

L’une des affiches japonaises, dans l’esprit de la peinture japonaise du 13e siècle  :

 

* Par souci de vulgarisation, l’écriture des noms et prénoms japonais est occidentalisée dans “Desseins animés”.
Au Japon, le nom propre précède le prénom. Il faudrait donc écrire “Yuasa Masaaki”, “Takahata Isao”, “Miyazaki Hayao”, etc.
Or ce principe n’étant pas du tout naturel à tout lecteur ignorant la langue japonaise, il génère toutes sortes de confusion et peut apparaître dans certains cas comme une coquetterie plus ou moins élitiste. Pour tenter d’atténuer les malentendus (sauf à être japonophone, qui peut savoir si “Masaaki” est un prénom ou un nom propre ?), on utilise alors les lettres capitales pour écrire le patronyme : “YUASA Masaaki.” Dès lors, quand un même texte contient des noms occidentaux et des noms japonais, on se trouve obligé de systématiser les majuscules aux noms propres, ce qui va à l’encontre des usages naturels occidentaux et pénalise la lecture des textes.
C’est pourquoi, dans “Desseins animés”, j’ai pris le parti de conserver l’ordre prénom puis nom. Lorsque j’y pense, j’écris le nom propre en majuscules uniquement lors de sa première apparition dans le paragraphe d’un texte.

** Le “ô” n’existant pas en anglais, les japonais écrivent “Inu-Oh” pour l’international. Il arrive assez fréquemment que les distributeurs de films français reprennent mécaniquement cet usage au risque, là encore, de complexifier l’appréhension des noms japonais par le public francophone. J’ai encore lu voilà peu, dans un dossier de presse, “Yasuo Ohtsuka” au lieu de “Ôtsuka” (ce dernier écrivait lui-même son nom occidentalisé avec un “h”, à l’anglaise donc).
Pour être tout à fait correct, il ne faudrait pas utiliser l’accent circonflexe mais un petit tiret de surlignement (“Ō”), difficilement accessible sur un clavier occidental. Quoi qu’il en soit, l’accent (en français) ou le “h” en anglais, indiquent qu’il faut appuyer sur le “o” lors de la prononciation.

 

 

anima