Long métrage d’Isao Takahata
Distribution/édition : Buena Vista Home Entertainment
Durée : 137 mn
Depuis hier, est publié le DVD du dernier long métrage réalisé par le cinéaste japonais Isao Takahata. La médiathèque d’anima s’en est dotée immédiatement non par fétichisme béât mais par épidermique impatience de revoir ce film prodigieux qui compte parmi les longs métrages de dessins animés les plus importants – à tous les égards – de l’histoire du cinéma. Si, si, j’vous jure !
Par ailleurs inclassable, Le conte de la Princesse Kaguya est aussi l’une des œuvres cinématographiques les moins en phase avec les comportements consuméristes des spectateurs de son époque. “D’arrière-garde” pour certains, trop “visionnaire” pour les autres, “non-identifiée” aux yeux d’une écrasante majorité. La carrière du film dans les salles s’est révélée très en deçà du minimum attendu.
Les chiffres parlent en effet d’eux-mêmes :
• sortie nationale japonaise : 23 novembre 2013
• sortie nationale française : 25 juin 2014
> on se pince encore quant au choix stratégique de cette date !
• Coût de production : 5,1 milliards de yens (presque 38 millions d’euros)
> en d’autres termes, une “superproduction”.
• Recettes japonaises : 2,8 milliards de yens (env. 15 millions d’euros)
> en d’autres termes, un échec commercial retentissant.
• Box office français : 223 393 entrées
> score très moyen mais plus qu’honorable si on s’en tient à la comparaison avec deux “pointures” sorties la même semaine, Under the skin (J. Glazer) en a récolté 161 000, Zero Theorem (T. Gilliam) a fini à 77 000.
La reconnaissance médiatique internationale ? Elle est, elle-aussi, relativement timide, exception faite des Oscars bien sûr où le film a laminé ses concurrents-hollywoodiens-formatés-pour-les-salles-à-pop-corn. Ah non, je confonds, ça c’était le rêve de ceux qui croient encore que la grand messe glamour n’est pas une façade publicitaire de la production américaine.
Les raisons de l’échec ?
J’ai la prétention de penser qu’elles résident dans trois postulats principaux (Bernard Guetta, sors de ce corps !) :
1° le long métrage d’animation de dessins animés à caractère artistique et non-formaté n’est toujours pas considéré comme “digne d’intérêt” par les spectateurs, les médias, les exploitants et autres diffuseurs, au-delà de quelques noms médiatiquement encensés, pour des motifs autres qu’artistiques.
2° Le conte de la princesse Kaguya est beaucoup trop long, et pour donner envie à des parents peu avisés d’y conduire leur progéniture, et pour permettre quelque accompagnement nécessaire en salle de cinéma (exposés, échanges avec les publics) pour nourrir le bouche-à-oreille sur la durée.
3° Les programmateurs de salles “art et essai” ne peuvent/veulent de toutes façons plus sacrifier de précieux créneaux de programmation pour un film d’animation anticonformiste, bardé des handicaps précédemment mentionnés et qui n’est, pour ne rien arranger, ni un “manga”, ni un “Miyazaki tendre et poétique”.
Bien sûr, il ne s’agit pas de discuter le choix artistique d’Isao Takahata du déploiement entier des enjeux d’un conte séculaire, qui plus est à un rythme en dehors des standards narratifs contemporains. Au contraire !
Mais bel et bien de constater qu’un tel cinéma, en dépit de son excellence à tous les niveaux, ne correspond plus au mode de consommation de film aujourd’hui. C’est terrible à écrire, d’aucuns diront un brin réac’, rester 2h20 sur un siège à contempler un poème-fleuve graphique et scénique expurgé de toute facilité spectaculaire n’est plus acceptable en 2014.
Les cinéphiles pourront me rétorquer : “Et Winter Sleep ?” Seulement, le très très long métrage de Nuri Bilge Ceylan n’est pas un film de personnages dessinés qui se doit de s’adresser aux enfants et si possible faire “crèche” suffisamment longtemps mais pas trop.
Je caricature à peine.
A défaut de pouvoir inverser cette situation, à moins d’avoir un écran de cinéma dans son salon pour apprécier la richesse de ses lignes (é)mouvantes, le DVD du Conte de la Princesse Kaguya peut constituer, eut égard à ce qui précède, un véritable investissement, un pari sur l’avenir.
Lorsque, dans 50 ans, quand le cinéma aura disparu, que les générations futures redécouvriront ce chef d’œuvre en s’interrogeant sur sa discrète présence au panthéon des merveilles du monde perdu, lorsque les universitaires et leurs revues élitistes se gargariseront unanimement dans les Fac de cinéma quant à l’incarnation des acteurs dessinées des maîtres de l’animation japonaise, lorsqu’on criera au génie dans les cinémathèques dématérialisées, vos enfants transmettront aux leurs ce petit boîtier blanc devenu si précieux, avec un petit rire en coin.