Le jour de Qingming au bord de la rivière

rouleau_chinois

 

Le spectateur occidental qui découvre les rouleaux enluminés japonais du XIIe siècle voit ses repères esthétiques s’effondrer les uns après les autres. Pour peu qu’il ait reçu une éducation artistique minimale, la naïveté des représentations médiévales et l’origine italienne de la théorisation du dessin en perspective au XVe siècle, étaient pour lui jusqu’ici indiscutables.

L’un des trois rouleaux des Légendes du Mont Shigi montre pourtant une scène “polychronique” (plusieurs phases d’une même action représentées simultanément) devant un décor établi grâce à une perspective à un seul point de fuite.
Alors quoi, on nous aurait raconté des bobards durant nos cours d’histoire de l’art aux Beaux Arts ! Alors quoi, la majorité des anthologies du dessin publiées en France (je ne citerais pas de titre par décence) auraient-elles fait l’impasse sur cet Everest, par facilité, par ignorance ou ethnocentrisme ?

Et comme si cela ne suffisait pas à abattre les certitudes résiduelles de l’impérialisme européen, voilà qu’à la même période, en Chine, le maître Zhang Zeduan réalise une peinture s’étalant sur plus de cinq mètres (545 cm x  25 cm), couramment connue sous le titre “Jour de Qingming au bord de la rivière”. Cet immense panorama profane hyper-détaillé développe ni plus ni moins qu’une vue aérienne à perspectives multiples de la capitale Bianjing (Kaifeng) de la dynastie Song, une journée de festival.
La richesse quasi-documentaire de l’œuvre, étayée par une maîtrise graphique inouïe (on qualifie ce rouleau de “Joconde de Chine”), permettent au regard du lecteur une appréhension panoramique de l’espace comparable à celle proposée par le mouvement latéral d’une caméra sur un axe ou sur un rail.
Anachronisme exagéré ? Certes. Cela dit, l’expérience de la lecture déroulée de ce type de rouleaux, lecture imposant une manipulation particulière, potentiellement rythmée, place le lecteur/spectateur actif en situation immersive et confère à cette longue image aussi topographique que narrative la dimension d’un espace cinématographique scrupuleusement “cadré” où le “hors champ” est éminemment porteur de sens.

NB : je ne remercierai jamais assez Isao Takahata de m’avoir fait découvrir ce chef d’œuvre éblouissant.

L’intégralité du rouleau dans sa version initiale (12e siècle) est consultable sur cette adresse.
Tout comme sa version datée du 18e siècle.

anima

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