Décongelons le mammouth !

horus_photo_exploitation_France_erreur

 

Savez-vous de quel film provient ce photogramme ?

Le 4 février 2004 démarrait en France l’exploitation d’une version restaurée de Taiyo no oji : Horusu no daiboken (La grande aventure de Hols, prince du soleil) sous le titre français Horus, prince du soleil. Il s’agissait du premier long métrage réalisé en 1968 par le cinéaste japonais Isao Takahata, au sein du département animation de la firme Toei.

Ceux qui œuvraient alors laborieusement à la reconnaissance de l’animation japonaise de qualité, en accompagnant autant que possible aux confins du territoire métropolitain la livraison aux publics des longs métrages réalisés par Isao Takahata, se sont offusqués des conditions déplorables dans lesquelles ce film fut distribué, des conditions qui entraînèrent mécaniquement son échec commercial. D’aucuns s’attardèrent sur la traduction ambigüe de son titre, d’autres regrettèrent que ce « chef d’œuvre oublié » fut adressé spécifiquement aux très jeunes publics (le long métrage n’était programmé que dans sa version doublée en français), écartant de fait une bonne partie des cinéphiles.
Peu d’entre eux en revanche soulignèrent la présence dans le corpus de photogrammes destinés à l’affichage dans les salles de cinéma, c’est-à-dire à la promotion publicitaire du film, d’un plan totalement étranger à l’œuvre originale.
En effet, s’il y a bien lors du climax dramatique de Hols, un mammouth géant qui envahit l’écran, celui-ci n’est pas une machine monstrueuse et il n’attaque pas un peuple de phoques.
Voici quelques images du mammouth (de glace) qu’affronte le héros du film :

mammouth_hols

Saura-t-on un jour par quel concours de circonstances un mammouth robotique a pu se retrouver associé à Hols ?
La question vaut aussi pour la publication du « DVD Collector » par Universal et Wild Side en France :

hols_DVD
Et surtout, que dit cette « maladresse » de la considération de l’animation japonaise dans le paysage cinématographique français ?
A ce niveau, peut-on d’ailleurs parler de maladresse ? Mais admettons.
Considérons pour l’exemple le cas suivant : à l’occasion d’une nouvelle édition en DVD du chef d’œuvre d’Akira Kurosawa, la presse relaye comme un seul homme un photogramme extrait des Sept Mercenaires, remake américain des Sept Samouraïs. Qu’entendrait-on du côté des critiques et autres fans du cinéaste japonais ? « Faute impardonnable » ou « crime de lèse-majesté » ?
S’agissant de Hols, eut égard à son statut d’œuvre fondatrice, voire de monument patrimonial, la comparaison me semble tenir ici. Il suffit pour s’en convaincre de lancer une recherche sur le web pour constater l’ampleur du désastre. 12 ans plus tard, le mammouth est toujours collé au film, comme une verrue, y compris sur des sites prétendument sérieux.
De là à soupçonner les distributeurs/éditeurs/diffuseurs de Hols, de fainéantise, de je-m’en-foutisme et accessoirement de transparence quant à la hauteur de leur considération réelle pour cette œuvre, pour son réalisateur, pour le registre secondaire auquel elle appartiendrait (les dessins animés industriels japonais), et accessoirement pour leurs publics, il n’y a qu’un pas.
Ont-ils tous seulement pris la peine visionner intégralement le film ?

 

Pourquoi revenir sur cette anecdote aujourd’hui ?

Je me suis récemment replongé dans le bel ouvrage à la couverture chromée signé par l’historien et enseignant (Université Paris 8) du cinéma Dominique Willhoughby, « Le cinéma graphique – Une histoire des dessins animés : des jouets d’optique au cinéma numérique*** » (Éditions Textuel, 2009).
Richement documenté et illustré, le livre propose, je cite, « une perspective historique élargie des problématiques d’un art nouveau apparu dans les années 1830, désigné ici sous le terme de cinéma graphique. […] Au-delà des traditionnelles approches spécialisées, nous avons cherché à établir une analyse à la fois plus large et plus précise des diverses qualités que le cinéma graphique a pris, de leurs apparitions, de leurs évolutions et combinaisons nouvelles tout au long de son histoire. […]
Tout allait bien dans le meilleur des mondes, lorsque, n’écoutant que ma fougue et mon désir de connaissance, j’entrepris la lecture du chapitre intitulé « Le dessin animé japonais à partir des années 60 » et là, s’offrit à mes yeux ébahis une superbe double-page :

hols_book_willoughbyLa légende indique : « Isao Takahata, Horus Prince du Soleil, 1968 [animation : Hayao Miyazaki] »
L’intégralité des onze pages de textes du chapitre ne fait pas d’autre allusion à Hols.

J’émets donc une hypothèse : afin d’enrichir la charte iconographique de son ouvrage, l’auteur, dont la connaissance et l’intérêt pour l’animation japonaise semblent résulter d’un effort poussif sous la contrainte, à défaut d’obtenir les droits de reproduction d’un photogramme d’un film d’Isao Takahata, voire de Hayao Miyazaki (véritable chemin de croix, s’il en est), se voit proposer par le distributeur français de Hols, une autorisation – payante ou gracieuse – à puiser dans le lot de photogrammes utilisés pour la promotion de la version française du long métrage Horus, Prince du Soleil. L’auteur, dont on ne peut que déduire qu’il n’aura pas pris la peine lui-non plus de visionner le film en question, choisit dans un éclair de lucidité, la seule image qui n’en est pas extraite.
Et personne, pas même les détenteurs des droits de cette image, ne relève l’erreur.

Jean-Damien, mon ami-maçon, aurait pu exprimer tout ça en une seule sentence : « voilà un beau boulot d’amateurs ! »

Longtemps, je me suis interrogé sur les motifs profonds qui ont freiné pendant des décennies l’appréciation, l’appréhension et la critique sérieuse de l’animation japonaise en France. Certes, il y avait le mépris, l’incompétence, le rejet de l’inconnu, ou pire, le refus de ce qui n’apparaissait pas spontanément comme « digne d’intérêt » par une élite prescriptrice. J’avais oublié l’opportunisme, dont les dégâts collatéraux se ressentent encore et se ressentiront durablement. La preuve.

 

Mais alors, de quel film est extrait le photogramme incriminé ?
Ce plan-intrus est lié au long métrage de dessins animés Nagagutsu o Haita Neko: Hachijū Nichikan Sekai Isshū (« Le tour du monde en 80 jours du Chat botté », traduction officieuse, le film n’ayant fait l’objet d’aucune version francophone. Il est toutefois une adaptation très libre du roman de Jules Verne), produit par la Toei et sorti au Japon en 1976. Le réalisateur en était Hiroshi Shirada. Isao Takahata et Hayao Miyazaki ne travaillaient plus pour la Toei depuis 1971/1972.

hols_chat_botte
On trouve facilement en ligne la version américaine du film Puss’N’Boots, Travels around the world.
Celle-ci nous apprend, outre que le film est très moyen, que l’image citée en en-tête de cet article n’est même pas un plan extrait de la continuité filmée mais une simple illustration publicitaire…

 

*** Cet ouvrage est toutefois recensé dans la sélection bibliographique de ce blog.
Sur la plupart des autres aspects de l’art animé, ce livre me semble faire œuvre d’un effort de vulgarisation louable.

 

 

 

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