Il faut me croire sur parole, j’aimerais m’enthousiasmer pour ce type d’œuvre, ne serait-ce que par fidélité pour une école artistique de l’animation japonaise si honorable, que j’ai tant aimée et défendue. Mais je crois qu’il ne m’est définitivement plus possible de faire preuve de la moindre indulgence à l’égard des superproductions opportunistes et pompeuses, gâcheuses de talents et brasseuses de vent, aussi brillamment conçues soient-elles.
La nature ayant horreur du vide, en l’occurrence du vide abyssal laissé par la disparition d’Isao Takahata et par la retraite forcée de Hayao Miyazaki, beaucoup bataillent pour reprendre le flambeau et empocher tout ou partie de l’héritage, quitte à en sacrifier l’essentiel : le respect du public.
Après les désastreux essais de Goro Miyazaki (Les Contes de Terremer, Aya et la sorcière) ou ceux de Hiromasa Yonebayashi (Arrietty, Souvenirs de Marnie, Mary et la fleur de la sorcière), produits, à l’exception du dernier, par le Studio Ghibli, c’est au tour de la première réalisation de Masashi Andô de se gaufrer avec panache.
Visionner le Roi-Cerf l’année dernière, en marge du Festival International du Film d’Animation d’Annecy, avait été une épreuve d’une heure et cinquante-trois interminables minutes. Le revoir à l’occasion de sa sortie en salles de cinéma ne me traverse même pas l’esprit tant le souvenir intact de mon immense désarroi est toujours présent. Mais s’il n’y avait que cela.
Écrit n’importe comment, ce « film de producteur », agglomérat de poncifs miyazakiens tricotés avec les pieds, est un récit dépourvu du souffle épique qu’il prétend perpétuer, dépourvu de poésie, de rythme, d’humour. Un film prétentieux et sans âme – inanimé donc, c’est un comble – qui réussit la prouesse de perdre, à tous les sens du terme, son spectateur adulte (bon courage, les enfants !) dès le premier quart d’heure. C’est à peine si le fan-béât-de-tout–ce-qui-porte-de-près-ou-de-loin-l’estampille-Ghibli, noyé sous un flot d’images creuses, belles mais insipides, resucées voire copiés-collés défraichis depuis leur prestigieux modèle*, aura l’énergie d’expulser un timide compliment sur les sublimes décors ou la qualité des dessins de mouvements.
Il faut me croire sur parole, ce n’est pas de la colère qui s’exprime ici mais de la tristesse. La tristesse de pressentir l’agonie d’un âge d’or et les limites d’un modèle de production incapable de survivre au génie des créateurs idéalistes qui l’ont porté si haut. La tristesse face à une telle dérive industrielle, oublieuse à ses dépens des fondamentaux de l’art du conte. La tristesse d’entendre des enfants et des ados français, ignorant légitimement le grand héritage massacré par Le Roi-Cerf, expirer de soulagement à la fin de la projection un radical « je n’ai rien compris ! »
* Le toujours inégalé Princesse Mononoke (1997), à la direction de l’animation duquel Masashi Andô fut l’une des éclatantes révélations.
Et s’il fallait un signal implacable du flop pourtant prévisible,
voici le cumul d’entrées sur l’une des séances de cinéma qui préfigure la carrière d’un film en France dès le jour de sa sortie.
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