Du 14 au 18 novembre 2016, le Centre Européen d’Études Japonaises d’Alsace (CEEJA) a organisé un « Grand Atelier d’animation japonaise avec Isao Takahata« .
Cette masterclass a permis à un groupe de 25 veinard(e)s d’échanger avec le cinéaste sur « les enjeux de l’écriture et de la mise en scène pour l’animation, l’adaptation d’œuvres littéraires et de bandes dessinées, et l’écriture pour la série télévisée jeune public ».
La manifestation était adressée en priorité aux auteurs, réalisateurs, étudiants en animation et autres professionnels œuvrant dans les domaines du cinéma d’animation et des arts graphiques. Elle était articulée principalement autour des trois feuilletons-fleuves dirigés par Isao Takahata : Heidi (1974), Marco, 3000 lieues à la recherche de Maman* (1976) et Anne aux cheveux roux** (1979).
Si on connaît plus ou moins bien en France les longs métrages d’Isao Takahata, sa trilogie de séries animées reste globalement ignorée, sinon sous-évaluée, en tant qu’œuvre artistique complète.
Bien que Heidi ait marqué des générations de téléspectateurs à la faveur de ses multiples diffusions depuis 1978, et bien qu’elle constitue de loin la meilleure adaptation filmée du roman de Johanna Spyri, son abord immédiat déstabilise, par son esthétique en apparence désuète et son rythme mesuré, les zappeurs contemporains conditionnés au spectacle pyrotechnique frénétique.
Marco demeure désespérément inconnue du téléspectateur français.
Et la première publication en DVD (étalée entre 2008 et 2011, dans sa version québécoise non-remasterisée) d’Anne aux cheveux rouges a rencontré un accueil trop confidentiel pour conquérir le large public qu’elle est pourtant largement à même d’enchanter.
L’état de faits est d’autant plus désolant que ces trois séries, prises indépendamment les unes des autres ou examinées en tant qu’ensemble, possèdent une valeur exceptionnelle dans le patrimoine du cinéma de dessins animés adressé aux enfants de tous les âges.
En effet, à l’échelle du vaste corpus des séries animées produites dans tous les pays du monde pour la télévision, ces trois feuilletons représentent un standard qualitatif – audiovisuel, narratif, dramatique – rarement égalé.
A la fois universel, intemporel et transgénérationnel… On a beau chercher, on ne trouve à ce jour aucun autre cas ayant réussi la prouesse de maintenir sur un format aussi long (entre 50 et 52 épisodes par série) une telle propension à provoquer l’adhésion collective, jubilatoire et pérenne.
Isao Takahata y a muri une écriture filmique inventive, exigeante, propre à enrichir l’art cinématographique. Il fut aidé dans cette entreprise par quelques fidèles compagnons, dont Hayao Miyazaki (création et mise en cohérence de l’espace scénique sur la continuité), Yôichi Kotabe et Yoshifumi Kondô (design élégant et animation subtilement expressive des personnages), pour ne citer que les plus connus.
Parce que ces récits se déploient sur près de 20 heures chacun, le cinéaste prend et gagne de véritables paris sur l’intelligence de ses spectateurs en leur offrant, avec une bienveillance et un soin inédits, la contemplation de la nature changeante au gré des saisons et des aléas climatiques, l’apprentissage de l’humilité humaine, l’épanouissement et le vieillissement sensible de ses personnages, la beauté sans fard de la vie quotidienne dans ses occurrences les plus anodines, l’expérience de la séparation, de la solitude, de la mort, de la sensation précieuse du bonheur d’être vivant.
Ces trois séries forment accessoirement la matrice sophistiquée d’une approche, conceptuelle et formelle, qui sera menée à son paroxysme dans les longs métrages produits par le studio Ghibli à partir de 1985.
Le film-somme réalisé par Isao Takahata en 2014, Le conte de la Princesse Kaguya, est d’ailleurs jalonné d’échos à cette trilogie fondatrice, comme autant de clins d’œil rétrospectifs d’un cinéaste à son propre cheminement artistique. Mais ceci est une autre histoire…
Quelques informations pratiques sur ces trois séries
Les « Œuvres classiques du monde entier » (World Masterpiece Theater / 世界名作劇場) est un concept inauguré en 1969 par Osamu Tezuka avec l’adaptation de son propre manga « Dororo et Hyakkimaru ». A l’exception de ce premier récit japonais, l’ensemble de cette collection a porté au petit écran une trentaine de romans classiques occidentaux (européens et nord-américains surtout). Le concept a été décliné par Nippon Animation (anciennement Zuiyô Enterprises) pendant près de 40 ans, jusqu’en 2009.
Parmi les séries les plus célèbres (outre les trois œuvres qui nous intéressent ici) :
• « Moomin » (1969-70) d’après Tove Jansson
• « L’histoire de Perrine » (1978) d’après Hector Malot
• « Tom Sawyer » (1980) d’après Mark Twain
• « Flo et les Robinson suisses » (1981) d’après Johann David Wyss
• « Princesse Sarah » (1985) d’après Frances Hodgson Burnett
• « Les quatre filles du docteur March » (1987) d’après Louisa May Alcott
• « Papa longues jambes » (1990) d’après Jean Webster
• « Les Misérables » (2007) d’après Victor Hugo
« Heidi » est la 6e série de cette collection.
Moomin et Heidi n’apparaissent pas sur cette illustration
car les deux séries précèdent la création de la société Nippon Animation
Heidi, la petite fille des Alpes (アルプスの少女ハイジ)
52 épisodes d’environ 22 minutes chacun
D’après les romans « Heidi » et « Heidi grandit » de Johanna Spyri (Suisse alémanique, 1880/1881)
Première diffusion au Japon : 1974
A raison d’un épisode par semaine, diffusé entre le 6 janvier et le 29 décembre 1974.
Première diffusion en France : 1978
Réalisation : Isao Takahata
Scénario : Yoshiaki Yoshida, Mamoru Sasaki, Isao Okawa
Création des personnages : Yôichi Kotabe et Yasuji Mori
Layout/continuité scénique : Hayao Miyazaki
Direction de l’animation : Yasuji Mori et Yôichi Kotabe
Direction artistique (décors) : Masahirô Iôka
Production : Zuiyô Eizô (future Nippon Animation)
Quelques précisions lourdes de sens sur les génériques français de Heidi
• La version francophone de la série, diffusée à partir du 22 décembre 1978 sur la première chaîne française, est issue d’un doublage québécois, remarquable à de nombreux égards. On saluera notamment la magnifique performance de la comédienne Eve Gagnier, laquelle, âgée alors de 48 ans, prêtait sa voix au personnage-titre, censé en avoir entre 5 et 9 durant le récit !
• Le générique d’ouverture (visible ici) reprend à l’identique presque tous les plans du générique japonais, à l’exception du tout dernier plan, redessiné (avec les pieds ?) et dé-saturé.
Une règle plus ou moins officieuse prévaut à la direction des programmes « jeunesse » de l’époque (c’est-à-dire dans le prolongement du succès incompris de Goldorak) : supprimer toute référence à l’origine nippone des séries animées, voire sous-entendre délibérément une fausse origine occidentale.
• Le générique de fin de Heidi est sans doute le meilleur exemple de cette imposture organisée : Takahata, Miyazaki, Kotabe, Nippon Animation n’y sont tout bonnement pas mentionnés. Créditée en qualité de « co-producteur », la société autrichienne Apollo Film – uniquement acheteuse des droits de diffusion – en devient l’unique ayant-droit identifiable.
NB : quant à la présence incongrue de la mention « caméra », qui désigne l’opérateur banc-titre en charge du filmage des superpositions de décors et celluloïds peints, elle reste encore aujourd’hui un total mystère.
Le générique de fin de chaque épisode de la version francophone est composé
d’un seul et même décor fixe, sur lequel se succèdent cinq mentions de crédits.
Marco / 3 000 lieues à la recherche de Maman* (母をたずねて三千里)
52 épisodes d’environ 22 minutes chacun
D’après « Le livre-cœur » de Edmondo de Amicis (Italie, 1886)
Première diffusion au Japon : 1976
A raison d’un épisode par semaine, diffusé entre le 4 janvier et le 26 décembre 1976.
Jamais diffusée ou publiée en France
Réalisation : Isao Takahata
Scénario : Kazuo Fukazawa
Création des personnages : Yôichi Kotabe
Layout/continuité scénique : Hayao Miyazaki
Direction de l’animation : Yôichi Kotabe et Reiko Ôkuyama (sa compagne)
Direction artistique (décors) : Takashi Mukuo
Production : Nippon Animation
Sur la base des éditions DVD existantes, cette série ne semble avoir été diffusée, exception faite du Japon, qu’en Italie, en Espagne, en Argentine et en Israël.
Le générique final original est un petit bijou qui reprend une formule stylisée déjà présente dans certains longs métrages de la Toei (comme Les joyeux pirates de l’île au trésor, en 1971).
Adoptée pour les deux épisodes de Panda Kopanda (1973-74), Takahata et Miyazaki la recyclent et l’améliorent dans Heidi puis dans Marco.
Miyazaki la reprendra en jouant avec ses niveaux de valeur narrative dans le générique de début de Laputa, le château dans le ciel (1985), dans les génériques de début et de fin de Mon voisin Totoro (1988), dans les génériques de fin de Kiki, la petite sorcière (1991) et Porco Rosso (1992), et dans le générique de début de Ponyo sur la falaise (2009).
Aussi longue et périlleuse soit-elle, la grande aventure de Marco par-delà l’océan Atlantique
se terminera bien. Le générique de fin nous le répète après chaque épisode.
Anne aux cheveux roux (赤毛のアン)
50 épisodes d’environ 22 minutes chacun
D’après « Anne, la maison aux pignons verts » de Lucy Maud Montgomery (Canada, 1908)
Première diffusion au Japon : 1979
A raison d’un épisode par semaine, diffusé entre le 7 janvier et le 30 décembre 1979.
Jamais diffusée en France, éditée en DVD entre 2008 et 2011
Direction générale : Isao Takahata
Réalisation : Isao Takahata, Kazuyoshi Yôkota, Shigeo Kôshi, Kôzo Kuzuba, Ken’ishi Baba, Shigeo Kôshi
Scénario : Isao Takahata, Chiba Shigeki, Aiko Isomura, Takekuni Takano, Yoshihisa Araki, Seijirô Kamiyama.
Création des personnages : Yoshifumi Kondô
Layout/continuité scénique : Hayao Miyazaki (jusqu’à l’épisode 15) et Michiyo Sakurai
Direction de l’animation : Yoshifumi Kondô
Direction artistique (décors) : Masahirô Iôka
Production : Nippon Animation
Isao Takahata délègue partiellement la réalisation de cette série. Il développe parallèlement, depuis 1975, le projet de long métrage, Gauche, le violoncelliste, dont la production – par le petit studio de sous-traitance Ô Production, commence à se concrétiser dans le courant de l’année 1979.
Hayao Miyazaki quitte l’équipe de la série après le 15e épisode pour se consacrer pleinement à sa première réalisation « Conan, fils du futur ».
Isao Takahata travaillera sur le storyboard (scénario dessiné) et la mise en scène de quelques épisodes de cette dernière série (qui en compte 26) produites aussi par Nippon Animation.
Comme la série Heidi, la seule version francophone est québécoise. Le doublage a probablement été réalisé au début des années 80.
Les génériques de début et de fin n’ont pas subi le même traitement honteux que ceux de Heidi (preuve s’il en fallait une que la dé-japonisation était bel et bien une démarche française).
Cependant, deux couacs notables y figurent : l’absence de Hayao Miyazaki qui aurait pu être crédité sous la mention « animation et scénographie » aux côtés de YoshiFumi Kondo, et Isao Takahata, bel et bien crédité au scénario et à la réalisation mais prénommé « Osamu » !
Crédits iconographiques
• image d’en-tête : extrait d’un décor de Masahirô Iôka pour Heïdi © Zuiyô Enterprises
• photogrammes extraits de Heidi (épisode 1) © Zuiyô Enterprises, de Marco, 3000 lieues à la recherche de Maman (épisode 24) et de Anne aux cheveux roux (épisode 1) © Nippon Animation Co Ltd, face à trois photogrammes extraits du Conte de la Princesse Kaguya © 2014 Hatake Jimusho – GNDHDDTK
• illustration commémorative © Nippon Animation Co Ltd
• deux planches de character design de Yôichi Kotabe pour Heidi © Zuiyô Enterprises et Marco © Nippon Animation Co Ltd
> extraites de l’ouvrage monographique publié en 2008 par l’association Anido : « Yôichi Kotabe, animateur de légende – Ses dessins animés »
• croquis d’inspiration de Yoshifumi Kondô pour Anne aux cheveux rouges © Nippon Animation Co Ltd
• vidéos et photogrammes des génériques des trois séries © Zuiyô Enterprises (Heidi) et © Nippon Animation Co Ltd (Marco et Anne )
* La traduction littérale de ce titre est « 3 000 lieues en quête de mère ».
** La traduction littérale de ce titre est « Anne aux cheveux roux » mais la série est souvent désignée par le titre de la série de romans dont elle s’inspire « Anne, la maison aux pignons verts », voire « Anne des Pignons verts » ou « Anne aux Pignons verts ».
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