Sous-médiatisation du cinéma d’animation (suite)

mediatisation_animation02Extrait de « On a repris deux fois des nouilles », tableau de Pascal Vochelet

 

Encore et encore, les longs métrages d’animation français anticonformistes aux budgets relativement modestes, peinent à attirer les publics à eux, en dépit de leur propension à réjouir un large spectre intergénérationnel de spectateurs.
Le succès de deux coproductions internationales – respectivement franco-nippone (La tortue rouge) et franco-suisse (Ma vie de Courgette) – sorties cet automne, a très temporairement créé l’illusion d’un changement de paradigme. Or, malgré une dithyrambe unanime des médias pour Louise en hiver de Jean-François Laguionie et pour La jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach, la règle de rentabilité commerciale est restée inflexible : « en dehors des sentiers battus, point de salut ».
En ce début de 21e siècle, les « sentiers battus » étant toujours plus lourdement pavés de bon sentiments et illuminés de paillettes aveuglantes (autrement appelées « budgets de promotion conséquents), les chemins de traverse artistiques continuent de passer inaperçues aux yeux du plus grand nombre.

Il se pourrait bien que le principal obstacle rencontré par ce cinéma d’animation non-formaté, dans sa quête de reconnaissance publique, demeure le déficit cruel d’éducation à l’image animée. Cette absence généralisée de pédagogie du regard se constate assez clairement dans le traitement biaisé des grands médias nationaux. Biaisé car systématiquement schématisé aux seules « têtes de gondoles » passe-partout qui ont la faveur des principaux canaux d’information et comblent aisément le peu d’espace que ces derniers daignent leur accorder. Tantôt à la fin d’un créneau d’actualités anxiogènes, tantôt dans les pages insipides de quelque magazines prescripteurs pour retraités, la réalité artistique, sociale, économique de la création animée contemporaine se trouve dès lors condamnée aux sempiternels raccourcis journalistiques, conditionnée aux mêmes obligations publi-rédactionnelles.

Chacun à leur manière, deux cas récents illustrent à nouveau cette sous-médiatisation de l’art de l’image animée.
D’une part, la publication du hors-séries de Télérama, intitulé « La grande vague du cinéma d’animation ». De l’autre, le traitement médiatique partial des discussions parlementaires du début décembre 2016 suite à la proposition de loi du sénateur des Hauts-de-Seine André Gattolin (ELLV) pour la suppression des publicités au sein les cases « jeunesse » de France 2. Traitement émanant principalement du Figaro.fr et de l’émission de France Inter « L’instant M ».

 

Hors-séries Télérama – 84 pages – 8,50€

Beau papier, belle maquette, charte iconographique soignée, superbes illustrations « pleine-page », textes aérés, et pour cause.

couv_telerama_hs_animation_2016Vaiana (Disney, donc) emblème de la « grande vague ».
Le ton est donné.

Passés un éditorial mielleux et un préambule pseudo-philosophique assurément paresseux, nous voilà sitôt arrosés par de bonnes grosses louches de pommades à l’attention de Disney/Pixar. Depuis la couverture jusque dans les références bibliographiques finales, complaisantes à l’égard du service communication de Disney, on nous ressert la propagande éculée de « l’usine à rêves », dont on se doit de manipuler les archives avec des « gants blancs », sans la moindre critique de l’impérialisme commercial implacable qu’elle sous-tend et de la « manufacture du consentement » qu’elle alimente grossièrement jusqu’à l’overdose.
Pour le passage obligé par l’animation japonaise, le brillant duo Kawa-Topor/NGuyên a beau sauver la publication du naufrage complet, leurs propos avisés accentuent un peu plus la ligne éditoriale désolante de superficialité de ce recueil.
Mais le sommet de la flagornerie est atteint avec l’inévitable* séquence d’auto-satisfaction, pervertie par une vision lourdement ethnocentrée de l’animation nationale.
Comme on le sait, cette dernière est un parangon de vertu qui essaime aux quatre coins du monde sa touch(e) élégante et innovante. En témoignent la série d’articles et d’entretiens hagiographiques qui se déploient jusqu’à la fin de ce recueil : Kristof Serrand dans son rôle favori de frenchy à Hollywood, les self made men de la « Furansujin Connection », l’exilé-bientôt-de-retour Sylvain Chomet (c’est de Crécy qui doit bien rigoler), l’incontournable Tortue rouge, (coproduction internationale réalisée par un hollandais britannique) présentée comme une panacée consensuelle irréprochable.
Mieux, au panthéon des gloires nationales, ressurgissent d’outre-tombe les « super-coproductions » Renaissance et Le petit prince, navets notoires du long métrage animé vaniteux.
Ouf, une petite pointe d’Ocelot et de Laguionie, et le tour est joué. On a cru un moment que la France ne brillait que par son rayonnement à l’étranger !

S’il était illusoire d’espérer trouver dans Télérama une quelconque enquête objective sur les innombrables points noirs qui entachent le monde merveilleux de l’animation et le rende de fait si passionnant à observer, comment ne pas s’offusquer qu’aucune place ne soit accordée dans ce hors série au foisonnement créatif des cinéastes qui œuvrent dans le registre du court métrage ?
Comment ne pas regretter amèrement que pas une ligne de cette publication soi-disant événementielle ne s’attarde sur les nouvelles formes d’écriture qui s’expérimentent en priorité dans le domaine de l’animation ?
Comment comprendre que La jeune fille sans mains ne soit même pas mentionnée ? Tandis que le film formidable de Sébastien Laudenbach représente à l’évidence la percée d’un nouvel horizon pour l’animation de dessins animés : bouleversement des codes de l’écriture filmique, nouvelles relations au médium, nouveau rapport au spectateur…
Comment justifier l’absence de traitement de l’émancipation poussive mais bien réelle de la série tv française du pesant corset des cases « jeunesse », des nouvelles tendances alternatives de l’animation indépendante américaine et japonaise, de l’arrivée en force de l’animation chinoise d’auteurs, des passerelles transmédias de plus en plus prégnantes entre le papier et l’écran précisément favorisées par l’image animée, du dialogue de plus en plus ténu entre narrations transversales et contenus immersifs, jeux vidéo en tête ?

« La grande vague du cinéma d’animation » se résume finalement à un panorama insipide d’un monde de Bisounours relégué dans l’arrière-cour du cinéma, espace négligeable auquel les enfants, petits ou grands (légèrement attardés, on l’aura compris), peuvent librement accéder, avec pour récompense de leur docilité, quelques doses régulières de friandises acidulées.

couv_telerama_hs_animation_2016_hariboCroyez-le ou non, je ne suis pour rien dans cette
coïncidence photographique, trouvée par hasard sur Internet !

 

Le retour par les WC des « japoniaiseries »

Le lobbying forcené et convergent de l’industrie agro-alimentaire et de l’industrie des dessins animés télévisés a fait l’objet d’un traitement on ne peut plus suspect dans l’émission « L’instant M. » produite et animée par Sonia Devillers – ex-journaliste du Figaro – le vendredi 9 décembre 2016. L’émission pitchée avec cette question pourtant centrale « qui finance vraiment les séries d’animation françaises ? » a finalement éludée ce réel sujet de société pour se focaliser, une fois n’est pas coutume, sur le manque à gagner des chaînes menacées par la suppression de la publicité pour la malbouffe dans les cases « jeunesse » (du service public uniquement). Un argument fallacieux, s’il en est, comparable au chantage à l’emploi face aux dangers de pollutions massives des écosystèmes humains. Pendant qu’en Grande-Bretagne, repaire bien identifié d’altermondialistes affranchis des lois du marché déréglementé, ces publicités sont tout simplement interdites car rendues responsables sans ambiguïtés de l’explosion exponentielle de l’obésité infantile et de ses incommensurables dommages collatéraux présents et à venir.

Plutôt que de parler « manque-à-gagner » (pour les chaînes ou pour les annonceurs ?), sans doute eut-il été utile de s’en tenir au fond et à la forme des séries produites pour ces fameuses cases « jeunesse ». Autrement dit, de questionner leurs esthétiques, leurs scénarios standardisées et aseptisées à l’extrême, les stéréotypes désastreux qu’elles véhiculent, les tenants et aboutissants du conditionnement dont elles participent par une logique de multidiffusions proches du matraquage, etc.
Que nenni. Il a été estimé préférable de pointer du doigt les dangers que feraient courir la diminution des espaces publicitaires sur la puissante industrie de l’animation taylorisée et sur ses canaux de diffusion. Quitte à convoquer les poussiéreux et ineptes arguments de la menace extérieure, asiatique en l’occurrence. Comme l’a fait, d’une plume aussi alerte qu’ignorante, M. Philippe Bailly (blog « Bouillonnements numériques » du Figaro), dans un article sur la base duquel Mme Devillers a préparé son émission du 9 décembre.

La lecture de cet entrefilet intitulé « Publicité jeunesse, le sénateur Gattolin aime-t-il les mangas ? » vaut son pesant de cacahuètes !
Il n’est jamais directement question d’animation japonaise – qualifiée opportunément de « manga »- bien qu’elle y soit brandie, dans le titre et la conclusion, comme une menace. Celle (je cite) des « dessins animés anciens, étrangers notamment« , auxquels devraient recourir en désespoir de cause* les grandes chaînes de télévision, aux dépens des productions bien de chez nous.
Si la déconnexion avec la réalité actuelle du paysage audiovisuel français est criante dans les propos de Philippe Bailly, le recours à l’argument du péril jaune (Chine, Japon, après tout, c’est du pareil au même) est aussi désolant de malhonnêteté intellectuelle qu’une campagne de propagande pour la lessive.

gattolin_mangaEussiez-vous cru que telle médiocrité existasse encore en 2016 ?

A l’image de son billet, le piètre photomontage qui l’illustre, sans doute destiné à marquer efficacement les esprits faibles, cache mal les véritables intérêts défendus par notre lobbyiste des grandes causes médiatiques. Deux jours avant le quart d’heure radiophonique évoqué ici, l’édition du Canard Enchaîné du 7/12/2016 relativisait l’objectivité de la charge du blogueur, en dévoilant sa qualité de directeur d’une agence de communication (NPA Conseil), prestataire pour les principaux groupes français de télévision et télécommunication.
Voilà ce qu’aurait dû préciser Sonia Devillers si elle avait vraiment voulu répondre honnêtement à la question qu’elle posât elle-même en introduction de son moment quotidien.

 

 

* Déjà Télérama nous avait servi en novembre 2012, un oubliable « La France cartonne » (n° 3279), avec les Minions (production étasunienne, rappelons-le) en couverture.
** Il peut être pertinent de s’informer sur l’origine de l’importation massive de séries animées japonaises à la fin des années 80 et 90 du siècle précédent, en lisant l’ouvrage universitaire « L’animation japonaise en France« . Où l’on rappelle qu’à défaut d’invasion, il s’agissait d’abord de remplir opportunément des espaces vides, puis de vendre du temps de cerveau disponible, à renforts de contenus à bas prix.

 

 

 

 

 

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