« After Duchamp » – Mr Brainwash
Cette question en appelle une autre plus préoccupante encore : pourquoi n’enseigne-t-on plus le dessin, la peinture, la sculpture, autrefois nommés « beaux arts », et plus généralement les arts appliqués, dans les écoles supérieures d’art françaises ?
Car, aussi étonnant que cela puisse paraître au commun des contribuables peu avisés, l’enseignement supérieur artistique territorial est, à quelques très rares exceptions, vidé de ses prérogatives initiales.
D’aucuns objecteront sans doute qu’on apprend toujours bel et bien toutes les disciplines sus-mentionnées dans les ERBA, ESBA et autres ESAM de l’hexagone.
A ceux-là, on précisera à titre d’exemple que trois à cinq heures de dessin par semaine (au mieux), circonscrites à la première année de cursus, avec un enseignant qui n’en connaît lui-même que sommairement les applications pluridisciplinaires, ne constitue pas une transmission de savoirs et de techniques digne de ce nom. Une transmission susceptible à terme de faire de ses élèves des individus épanouis, des artistes intellectuellement émancipés et, facultativement, des professionnels compétents, polyvalents et heureux dans leur domaine d’activité au point de transmettre à leur tour.
Pour tenter d’acquérir ces savoir-faire, il faut désormais se tourner vers la « formation en établissement spécialisé », dont la grande majorité, à vocation clairement commerciale, pratique des tarifs d’inscription astronomiques, couplés à un protocole d’apprentissage opaque, qui échappe à tout contrôle et à tout audit de résultat.
Autrement dit, l’enseignement supérieur artistique, théorique et technique, n’est plus guère un service public démocratisé et efficient.
Et parmi les conséquences (et/ou causes ?) de sa constante désagrégation depuis plus de 30 ans, l’inculture artistique généralisée des personnels dits « décideurs » dans les différentes strates des secteurs culturels, économiques et politiques où ils évoluent, reste la plus symptomatique.
Aussi, partant du postulat que l’animation, dans son acception la plus large, est la seule discipline transversale qui englobe et concerne tous les médias et modes d’expression et de création (dessin/forme, peinture/couleurs, volume/espace, technologies numériques, vidéo, photographie, création sonore, spectacle vivant), son enseignement dans les écoles supérieures d’art s’avère parfaitement miscible avec les missions revendiquées par ces mêmes établissements publics.
Au Royaume Uni, dans le prestigieux Royal College of Art londonien, l’écrasante et pérenne domination des étudiants – médiatiquement visible par le prisme de leurs films de diplôme sur-représentés dans les festivals internationaux les plus exigeants – ne cesse de renvoyer aux yeux du monde, depuis deux bonnes décennies, l’image d’une créativité cosmopolite intarissable qui rejaillit sur toute la création britannique.
Pourtant, l’enseignement artistique français continue de se détourner fièrement de ses missions initiales, et son mépris à l’égard de l’art protéiforme et transdisciplinaire de l’animation n’en demeure que plus insensé. Du moins, tant que l’on ignore les tenants et aboutissants des concepts discutables sur lesquels se basent aujourd’hui les programmes de cet enseignement.
Et pour déchiffrer ces concepts, il faut prendre connaissance du discours dissonant – peu médiatisé et schématisé par les élites communicantes en une sorte de « mouvement de néo-réactionnaires extrémistes » – d’un nombre croissant de commentateurs en première ligne (artistes, enseignants, philosophes, essayistes, étudiants, simples citoyens) qui opposent à la pensée culturelle dominante une critique à charge et néanmoins très argumentée de « l’art contemporain » institutionnalisé et financiarisé. « Désartification », « nouvel académisme bien pensant », « décrédibilisation internationale », « aggiornamento musclé » des programmes pédagogiques, « hyper-intellectualisation », « élitisme prescripteur », « subversion artificielle », « sidération du vide », « endoctrinement à des fins spéculatives », « endogamie et conflits d’intérêt », « art comptant pour rien », …
C’est violent, certes, mais en y regardant de près, cet état de faits s’étale ostensiblement sur le terrain, tant dans les politiques d’achat des Fonds Régionaux d’Art Contemporain (FRAC) que dans le langage consensuel des Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) et bien sûr dans le discours – plus libéral que libertaire – des directions des écoles d’art.
En recoupant ces différents arguments avec les clichés qui plombent depuis toujours l’image toute faite de l’art de l’animation (« divertissement infantilisant », « produit de l’artifice et du trucage », « anti-cinéma désincarné », j’en passe), s’impose alors la réponse à la question qui nous préoccupe ici.
L’art de l’animation – cinématographique ou non – n’est tout simplement pas un art « comptant pour rien » ?
Une synthèse du programme l’enseignement artistique en France
(selon l’association « Sauvons l’art », en 2013)
Ces constats sont vérifiables en interrogeant n’importe quel étudiant (de bonne foi) issu de l’une des 52 écoles publiques territoriales.
Quelques liens et références pour approfondir la critique de « l’art contemporain »
(rien n’ayant été écrit jusqu’ici sur le non-enseignement de l’animation dans les écoles supérieures d’art, vous déduirez facilement les relations de cause à effets) :
• cf. chapitre « Un art tellement contemporain » in » Dégagements Vol. 2 – Un candide à sa fenêtre » de Régis Debray (2015, Ed. Gallimard)
> où l’on peut lire : « Il y a un rapport troublant entre l’intellectualisation sans cesse accrue des productions plastiques et la paupérisation intellectuelle du producteur – à croire que celle-ci engendre celle-là. »
• le colloque « Sauvons l’art » au Sénat le 23 janvier 2013
> à écouter notamment « L’enseignement virtuel de l’art : la révolte d’Avignon », communication de Margaux Berry (ex-étudiante de l’ERBA d’Avignon)
• Récit complet de la révolte des étudiants d’Avignon sur « Le schtroupf émergent » de Nicole Esterolle
• le blog Blablart
> avec plein de critiques dissidentes dedans
• une intervention télévisée du philosophe Dany-Robert Dufour
> sur la « crédibilité » de l’art contemporain
Et le mot de la fin de Marcel Duchamp
« Je leur ai jeté le porte-bouteilles et l’urinoir à la tête comme une provocation et voilà qu’ils en admirent la beauté. »
Lettre à Hans Richter, novembre 1962.
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