Pitié, pas Akira !

 

L’adaptation animée de la série de bandes dessinées par son auteur même, Katsuhiro Otomo, n’est pas un bon film.
Presque trois décennies¹ après son apparition tonitruante, Akira bénéficie actuellement d’une ressortie française opportune et opportuniste, à la faveur de l’anémie post-COVID subie par l’exploitation cinématographique nationale, laquelle reste dépendante des super-productions pour consommateurs moutonniers. Sa première semaine dans les salles affiche une audience inattendue et me rappelle à quel point ce long métrage aura été surestimé, et le reste visiblement encore aujourd’hui auprès d’une frange d’irréductibles nostalgiques de leur jeunesse perdue, pour des raisons autres que purement artistiques.
Sans doute n’est-il pas totalement vain de rappeler le contexte favorable qui a permis à ce film d’animation japonais de marquer à ce point une génération de spectateurs occidentaux. Pour se faire, j’ai choisi le mode auto-biographique car j’ai ma part de responsabilité, infime certes mais quand même, dans la construction de la relative imposture qui a fait de ce film une œuvre-culte.

Je fais partie de ces gens, post-adolescents au tout début des années 90, qui ont reçu le long métrage d’Otomo comme une gifle. Bien que nourri à l’animation japonaise – parfois sans le savoir – durant toute la décennie 80, ce qui me parvenait du territoire exotique des dessins animés nippons semblait déjà en 1991¹ outrancièrement stéréotypé et assez vite lassant. Il ne faisait aucun doute que le mauvais traitement de ces exportations culturelles, principalement sérielles, traduites/doublées/diffusées n’importe comment, retardait ma maturité intellectuelle. Aussi, quand Akira a jailli sous mes yeux médusés, avec son animation et ses décors hyper-réalistes, son ultra-violence racoleuse, sa trame bordelo-vroomvroom-anarcho-nihiliste, forcément, j’ai été séduit.
A partir de 1995, lorsque j’ai produit et présenté hebdomadairement ma première émission radiophonique dédiée à l’animation, les percussions tribales de Geinoh Yamashirogumi ponctuaient régulièrement mes propos, tout comme cette réplique extraite de la version française, prononcée par le personnage de Tetsuo « j’vais répandre ce mec sur toute la rue !« .
Un an plus tard, alors que je démarrais à peine mes activités de programmateurs de films d’animation, j’ai eu l’occasion d’organiser une projection du film sur grand écran, pensant, d’une part, profiter de l’attractivité présumée du film et, d’autre part, en cas de défection des publics, m’octroyer le plaisir égoïste de le visionner enfin autrement qu’à partir de la cassette VHS que j’avais passablement usée. Je me souviens parfaitement de l’ennui profond ressentie durant cette projection. La pyrotechnique devenue inopérante, les projections ultérieures que j’ai eu à supporter – pour les présenter et débattre avec les publics de l’animation japonaise, à l’invitation d’exploitants de salles de cinéma un peu partout en France – se sont révélées particulièrement pénibles. Le quart de siècle dépassé, je devais être déjà trop vieux pour ce genre d’enfantillage.

La publication française de l’intégralité² de la série originelle de bandes dessinées (manga) s’est achevée en 1996. Elle a ainsi permis aux publics admirateurs du film de réaliser l’extraordinaire densité d’une œuvre monumentale dont la transposition animée devenait un piètre produit dérivé et, à différents égards, très nettement édulcoré. Le fort caractère socio-politique de l’œuvre originelle, l’ambivalence des personnages principaux, l’aura charismatique de certains personnages secondaires, le mysticisme punk de l’intrigue, avait donc été les grands sacrifiés de l’adaptation filmique.
La sincérité de la démarche de l’auteur-réalisateur en était de fait mise à mal et les défauts de sa propre adaptation n’en furent désormais que plus flagrants à mes yeux. La sophistication des images ne cachait plus les compromis concédés aux vendeurs de jouets, financeurs du film.

Alors, nouveaux spectateurs qui allez découvrir Akira au cinéma, ne soyez pas dupes. Si ce divertissement un peu vieillot vous séduit, sachez qu’il n’est que la petite partie émergée d’un iceberg parsemé de merveilles bien plus belles, bien plus intelligentes, bien plus déstabilisantes. Je vous souhaite sincèrement de savoir rapidement dépasser l’effet de sidération, à l’évidence bien moindre qu’en 1991, pour accéder au grand cinéma d’animation japonais. Lisez la série de BD, plusieurs fois s’il le faut.

 

¹ Sorti au Japon en 1988, le film a été distribué en France à partir de mai 1991. Il essuiera un relatif échec commercial avec à peine 100 00 entrées.
² Publié au Japon entre 1982 et 1990, la série de manga est interrompue par la production du film. La fin des bandes dessinées a donc été créée ultérieurement au scénario du film.
La série BD est publiée en français par Glénat, à partir de la version nord-américaine colorisée, entre 1990 et 1992, sous forme de petits fascicules (format comics) distribués en kiosque. Ce n’est qu’entre 1994 et 1996 que l’éditeur présente une première traduction de la version originelle en noir et blanc. Les publics non-initiés découvrent donc l’œuvre initiale plusieurs années après la circulation du film.

 

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