Avertissement : cette série d’articles contient des images, des propos et des liens qui font références à des contenus destinés aux adultes et aux adolescents.
Les enfants, si vous êtes arrivés jusqu’ici par je ne sais quel concours de circonstances, soyez gentils, allez voir ailleurs.
PORNOGRAPHIE ET ANIMATION
Les deux font la paire, et ce depuis l’invention des premiers dispositifs de synthèse du mouvement, c’est-à-dire depuis plus d’un demi-siècle avant l’invention de la caméra.
Que l’on observe leurs relations à travers les prismes anthropologique, sociologique, économique ou culturel, cette accointance naturelle n’a rien de franchement surprenant.
Pourtant, l’absence criante d’études approfondies et d’espaces médiatiques à même d’en rendre compte handicape toute réflexion sur le sujet. Les essais ou articles dédiés sont rares et commercialement orientés. Quant à la presse – écrite, radiophonique, télévisuelle, en ligne – elle fait l’autruche, par négligence, par mépris, sinon par autocensure suspecte.
Tout au plus, parfois, quelques fenêtres s’ouvrent et titillent le voyeurisme des cinéphiles curieux avec d’anecdotiques programmations “coquines” composées d’œuvres majoritairement courtes, indépendantes, à l’érotisme plus ou moins suggéré dans les limites du politiquement correct.
La “pornographie animée” en tant que telle ne constituent même pas un sujet. Et ce, en dépit de son volume de production à croissance exponentielle, d’une pauvreté artistique abyssale mais néanmoins riche d’enseignements. Ne serait-ce parce que l’histoire et les tendances de la contre-culture pornographique, considérée dans son ensemble ou vue à travers l’une de ses manifestations les plus paradoxales (l’image animée), est corollaire des grandes évolutions sociétales de ces 150 dernières années : l’industrialisation et l’essor du capitalisme, la démocratisation du spectacle audiovisuel, la libération chaotique des mœurs, la globalisation des marchés économiques, la résurgence des conservatismes radicaux, la lente agonie du patriarcat, l’hypertrophie de la sphère médiatique, la “révolution numérique” et ses conséquences les moins reluisantes telles que la dématérialisation des échanges sociaux, la démultiplication des points de vues, la consommation “2.0” égo-centrée.
Eric Ledune, Pornography (2016)
Sur la base de ces constats, j’ai entrepris la rédaction d’une série de survols au-dessus d’un territoire immense que mes modestes compétences d’archéologue-aventurier ne m’ont permis d’appréhender que très partiellement. J’en ai pleinement conscience. Cette exploration sommaire de la pornographie animée, de ses origines pré-cinématographiques à son futur immédiat, aura cependant été fabriquée avec toute la curiosité et la bienveillance dont je suis capable à l’égard d’un domaine, aussi tabou que totémique, donc difficile à analyser sans éveiller toutes sortes de soupçons.
Qu’importe, l’entreprise s’est révélée très motivante dans la mesure où elle n’a cessé de questionner le statut éminemment ambigu du corps humain dans l’image animée et, qui plus est, le registre méconnu de l’image animée obscène, peuplé d’avatars impudiques – déshabillés, émoustillés, incarnés – mis en scène dans leur intimité la plus crue et cependant distanciée grâce à l’image graphique en mouvement.
Parmi ces questions, la plus récurrente fut la suivante : “et si cette distance était opportunément propice à une pédagogie décomplexée en matière d’éducation à l’image vulgaire, d’autodéfense intellectuelle, voire, dans une certaine mesure, en matière d’éducation à la sexualité ?” La sexualité, vous savez ce truc négligeable que l’enseignement, national et familial, a complètement délégué à la pornographie. Laquelle, en libre accès permanent à quiconque* sait se servir d’une connexion Internet, est devenue prescriptrice exclusive de normes toujours plus déstabilisantes, pour ne pas dire “inhumaines” !
Il m’apparaît nettement désormais que l’animation pornographique interroge, bien plus efficacement que la pornographie d’acteurs-de-chaire-et-de-fluides, l’uniformisation quasi-totalitaire des esthétiques, le culte de la performance légitimant les violences physiques et verbales autant que l’effacement des sentiments ou la culpabilisation, entre autres obstacles à la construction personnelle et aux relations sociales (et sexuelles) épanouies.
Un blob porno de V5MT
Les quelques jalons proposés dans les dix chapitres à venir de cette série s’inscrivent dans une définition approximative mais large de la pornographie, entendue comme le registre de création caractérisé par l’exhibition frontale des appareils génitaux féminin et masculin, de l’acte sexuel sous toutes ses formes, de ses figures acrobatiques à ses déviances, avec complaisance et au mépris de l’immoralité. Dans ces limites relativement souples, se dévoilera un vaste domaine d’expression, codifié et marchandisé à l’extrême mais non-dénué de créativité narrative, d’inventivité technique et d’expérimentations immersives, ouvrant des perspectives enthousiasmantes ou inquiétantes, selon le point de vue adopté.
Gadget électronique de réalité augmentée présenté lors de
la première édition de l’Adult VR Porn Festival
qui s’est tenue au début du mois de juin 2016
dans le quartier Akihabara de Tokyo.
Pour conclure ce préambule, voici le sommaire de cette série d’articles.
A terme, il permettra un accès direct à chacun d’entre eux.
Sommaire :
#1 – Pré-cinéma pornographique
#2 – Refoulements dans le cartoon
#3 – Disney ou la pornographie subliminale
#4 – Motifs pornographiques dans le long métrage animé
#5 – Pudeur du court métrage
#6 – Dessins animés pornographiques au Japon
#7 – Parodies et détournements
#8 – Le marché parallèle mondialisé du porno animé
#9 – L’eldorado de l’immersif
#10 – Épilogue
* Selon différentes données sérieuses et convergentes, parmi les moins alarmistes, 10% des mineurs (adolescents, pré-ados et enfants de moins de 8 ans) échapperaient aux images pornographiques en 2015.
Des statistiques européennes (ESPAD) indiquaient dès 2004 que 8% des jeunes voient leurs premières images pornographiques avant l’âge de 11 ans (17% avant 13 ans).
Addendum (été 2019)
On le sait peu, d’innombrables études scientifiques et essais ont été publiés sur la pornographie, son industrie, ses actions sur le cerveau humain, son caractère éminemment addictif.
En revanche, les initiatives de vulgarisation de ce sujet sociétal crucial demeurent très rares, en particulier en France. Par voie de conséquence, la communauté éducative dans son vaste ensemble – lequel est loin de reposer sur les seules épaules du corps enseignant – refuse encore de l’embrasser, ne serait-ce que par l’évocation. Ce qui se comprend aisément.
Voici une conférence TEDx de Maria Ahlin (fondatrice de l’ONG suédoise “Changing Attitudes“). Cette dernière résume parfaitement les enjeux que nous devons désormais massivement affronter. Le premier d’entre eux : en parler, de manière avisée et bienveillante.
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