Pourquoi l’écran d’épingles ?

 

Oui c’est vrai ça, pourquoi ?
Pourquoi ressortir ce vieil appareil lourdaud de la naphtaline du « monde d’avant » ?
Pourquoi mobiliser 52 minutes de notre temps de cerveau disponible devant l’hommage à un outil – qui pourrait certes constituer ni plus ni moins que la préfiguration, sinon l’invention, du pixel – qu’une poignée d’artistes des deux côtés de l’Atlantique sont les seul.e.s sur la planète à utiliser pour réaliser de loin en loin des films que presque personne n’a vu ou ne verra ?
Et puis à quoi bon s’obstiner à promouvoir la création-dans-la-contrainte quand, avec quelques prompts bien sentis, on peut fabriquer en un clic des images qui bougent en imitant la gravure ou le fusain ?

Si vous vous posez ce type de questions idiotes, vous n’avez probablement pas conscience de ce qui engage les artistes-animateuristes les plus passionné.es à inventer leur propre technique, voire leur propre médium, à s’investir aux mépris de leur enrichissement financier et de leur renommée publique. Ce documentaire est donc fait pour vous.
Loin d’être l’hagiographie filmée que d’aucuns cinéphiles attendent encore sur le couple Alexeieff/Parker, le parti pris de Brice Vincent, réalisateur de Pourquoi l’écran d’épingles ?, éclaire d’une lumière fraîche la ré-appropriation par des cinéastes contemporains d’un monument méconnu du patrimoine technologico-culturel du 20e siècle.
A la faveur de la campagne de restauration initiée par le CNC (qui conserve l’un des deux exemplaires fonctionnels conçus par ses inventeuristes), le réalisateur a capté pendant près d’une décennie une émouvante transmission intergénérationnelle, doublée d’une ode à la sensualité et à la résistance d’un tapis d’aiguilles que l’on embrasse, caresse, masse avec différents objets protubérants. Vous avez compris l’analogie…
Plus discutable dans ce documentaire, bien que de mon strict point de vue pertinente, la mise en regard des gravures pointillistes à l’écran d’épingles avec les images de synthèse en trois dimensions et l’IA générative interroge le devenir de l’imagerie automatisée à l’extrême tout en célébrant le génie anticipateur d’Alexeieff. Pionnier de l’animation numérique (avec par exemple ses expériences de « totalisation stroboscopique » dans les années 60), théoricien « virtuose du virtuel » qui annonçait dès 1967 le visionnage banalisé de courts métrages d’animation sur téléphone, le veilleur enthousiaste qu’il fut toute sa vie aurait, sans nul doute possible, accueilli avec autant de circonspection que d’intérêt la systématisation des interactions homme-machine dans la production d’œuvres plus ou moins artistiques.

 

 

Une interview de Brice Vincent sur le site du CNC

• Pour projeter ce film en salle de cinéma, contactez Bastille Film : xavier@bastillefilms.com

 

Alexandre Alexeieff et Claire Parker manipulant l’un des écrans d’épingles de leur invention en 1967

 

Clémence Bouchereau devant l’une des images-écran de son film La saison pourpre (2023)

 

 

 

 

anima