Les deux documents suivants, récemment publiés sur le site web du Syndicat des Producteurs de Films d’Animation (SPFA), un communiqué et un sondage d’opinion, constituent une première salve défensive en réaction aux annonces, aussi approximatives qu’insensées, de la ministre de la culture, Françoise Nyssen, quant aux orientations probables de la future loi de réforme de l’audiovisuel public.
Le SPFA s’insurge à juste titre contre la possible migration – et consécutive disparition plausible – de la chaîne gratuite France 4 du réseau hertzien vers une plateforme numérique et, chiffres à l’appui (à relativiser comme toutes données chiffrées diffusées par un lobby), en appelle au bon sens des pouvoirs publics pour ne pas brider la croissance exponentielle de la production de contenus animés, majoritairement destinée aux cases « jeunesse » des médias de télédiffusion du monde entier. L’un des rares marchés dont la France s’enorgueillit de partager la domination économique aux côtés des États-Unis et du Japon.
Cependant, le sujet de la consommation par les enfants des contenus animés est bien moins simpliste que le lobbying du SPFA le laisse croire.
Les esprits ronchons disent même que pour la plupart des foyers, des institutionnels, des médias, ce n’est même pas un sujet !
Et ce en dépit de quelques évidences toujours bonnes à rappeler :
– les programmes animés adressés aux plus jeunes forgent la première culture de l’image d’une majorité d’enfants,
– ces productions formatées à l’extrême et bourrées de stéréotypes bénéficient d’une confiance quasi-aveugle de la part des adultes prescripteurs qui ne les regardent pourtant jamais,
– les jeunes publics sont en première ligne de la transition numérique puisque nés avec une tablette ou un smartphone au bout des doigts et de fait conditionnés au nomadisme audiovisuel généralisé avant même de parler… La consommation de contenus animés par ces mêmes djeuns sur les supports de diffusion nomades est déjà pandémique.
J’en passe.
Aussi, les préoccupations légitimes des industriels de l’animation quant à l’avenir des contenants qui financent et propagent leur production, occultent comme d’habitude la question plus cruciale, semble-t-il, de la qualité des contenus propagés.
Profitons d’abord de l’occasion pour nous mettre à dos une bonne partie des « professionnels de la profession » en reformulant l’accroche démagogique du communiqué du SPFA.
Il eût été plus honnête, et donc moins politiquement correct, d’écrire :
« Les enfants un tant soit peu éduqués et les parents un tant soit peu préoccupés par les contenus animés que consomment leur progéniture (c’est-à-dire une frange insignifiante de la population) seront-ils laissés-pour-compte par la réforme de l’audiovisuel public concoctée par des technocrates sortis du même moule, totalement déconnectés du terrain et soumis aux desiderata du conservatisme néo-libéral le plus inconséquent, lequel prospère sur l’inculture et la soumission des moutons qu’il entraîne vers l’abîme avec des divertissements de plus en plus bon marché ?«
« Bravo pour la neutralité politique », me souffle-t-on dans l’oreillette… Certes. Mais qui peut encore douter de cet état de faits, caractéristique des gouvernances françaises depuis au moins cinq décennies ?
Interrogé quelques jours après la publication de ce communiqué, sur une chaîne de radio publique, Stéphane Lebars, président du SPFA, sortait l’arme lourde pour défendre « la seule chaîne de télévision pour enfants sans publicités » sur laquelle toute la créativité nationale pouvait jusqu’ici s’appuyer sans passer pour une fabrique de temps de cerveau disponible, pour reprendre l’expression consacrée. Autrement dit, la disparition de France 4 menace l’unique caution morale des industriels de l’animation. Sur ce point aussi, un peu moins d’hypocrisie eût été bienvenue.
Les larmes de crocodile du lobby des industriels de l’animation aurait un minimum de crédibilité si un épisode concomitant n’était pas venu les contredire à nouveau, un mois plus tôt, sans que le SPFA ne s’émeuve cette fois de ses conséquences désastreuses sur la santé – physique et mentale – de nos petits nenfants chéris.
Le 10 mai 2018, le Premier ministre Édouard Philippe a reçu une lettre, cosignée par l’ensemble des directions de chaînes de télévision, privées et publiques, dont Delphine Ernotte (groupe France Télévisions), Gilles Pélisson (groupe TF1) et Nicolas de Tavernost (groupe M6). La missive s’opposait avec force, unanimité et chantage à l’emploi, à l’amendement déposé par le médecin-député Olivier Véran (LREM) destiné à imposer le label édulcoré « Nutri-score » dans les spots publicitaires diffusés dans les cases « jeunesse » et au-delà. Le méchant amendement rejeté aux oubliettes par l’Assemblée nationale, la manne financière vitale que représentent pour ces mêmes chaînes les industriels de l’agro-alimentaire et du jouets en plastoc était sauve.
Cette coalition protectionniste aura au moins eu le mérite d’éclairer un tant soit peu la réalité de l’écosystème que beaucoup de petits-nenfants-devenus-plus-grands rêvent de rallier pour y faire carrière. L’animation industrielle, à de rares exception près, est avant tout le faire-valoir de la sur-consommation de masse. Parfois elle crée de l’art presque invisible.
Le monde télévisuel a ceci de désolant qu’il ne comprend toujours pas que sa vacuité culturelle* – voire intellectuelle – est la cause de sa lente et inéluctable agonie.
* On relira pour s’en convaincre, par exemple, « La misère du monde » de Patrick Champagne (1986) ou « Sur la télévision » de Pierre Bourdieu (1996), conférence à visionner intégralement ici.
llustration d’en-tête : Kristian Jones
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