Sur les quelque 250 œuvres animées visionnées/expérimentées en 2021, je me suis livré pour la première fois à l’exercice du best of subjectif de propositions artistiques remarquables, découvertes lors de l’année écoulée. Étonnement, ce fut facile et relativement rapide.
Pour parvenir à ce triptyque d’œuvres couvrant les principaux formats accessibles à tous les publics (court et long métrages, séries audiovisuelles), je me suis fixé des contraintes simples :
a) convoquer les œuvres qui me revenaient spontanément grâce aux émotions tenaces qu’elles ont su générer,
b) visionner à nouveau – si possible – ces œuvres pour m’assurer qu’elle me touchent toujours au-delà du contexte de mon premier visionnage,
c) questionner les raisons qui me donnent envie de les transmettre aux spectateurs.
Et voilà le résultat sans appel :
Le village abandonné de Mariam Kapanadze (Géorgie)
Découvert dans une sélection parallèle à la compétition officielle du dernier festival d’Annecy, ce sublime court métrage issu d’un territoire habituellement assez peu représenté dans le paysage de la création animée est composé d’un plan unique. Une vue aérienne sur une campagne désolée se dévoile progressivement. Lentement, par l’action combinée de variations de lumières et de sonorités naturalistes, on assiste à l’écoulement d’une journée hivernale sur les vestiges d’un village dont il ne reste que ruines et végétation dénudée.
Telle une suite de tableaux impressionnistes d’un même point de vue, cette campagne désaffectée se métamorphose subtilement pendant que la vie rurale, hors champs, s’active en périphérie.
Le climax de ce film épuré et métaphorique réside dans une apparition furtive.
L’idée de ce film est aussi simple que géniale.
A contre-courant de la production animée contemporaine obnubilée par le mouvement frénétique et spectaculaire, Le village abandonné démontre avec une humilité confondante la vanité de la surenchère d’effets visuels et/ou narratifs à la portée culturelle finalement très limitée. Ce film s’inscrit dans la veine “contemplative” du cinéma d’animation contemporain qu’un nombre croissant d’artistes investit avec plus ou moins de réussite. Je pense notamment au magnifique Rivages de Sophie Racine ou au plus réchauffé (de mon strict point de vue) Empty Places de Geoffroy de Crecy. Tous travaillent la poésie du vide, de l’absence, de la disparition, du temps retrouvé. Ils font donc un bien fou.
Cerise sur le gâteau, Le village abandonné est appréciable par les enfants.
• L’article que je lui ai consacré en juin 2021
• Le village abandonné fait partie de la sélection itinérante “La crème de la crème du cinéma d’animation #2” qui circule dans les salles de cinéma indépendantes de Normandie d’octobre 2021 à juin 2022.
L’une des 21 peintures exécutées par Irakli Toklikishvili pour Le village abandonné
Archipel de Félix Dufour-Laperrière (Canada)
Les longs métrages d’animation conçus autrement que pour le divertissement sont rares et ne font pas recette. C’est tout juste s’ils rencontrent les publics autres que cinéphiles, eux-mêmes en voie de raréfaction. Pourtant, en s’abandonnant à des œuvres singulièrement émouvantes comme Archipel, aller-retour de l’intérieur à l’extérieur de soi, on éprouve très vite les bienfaits hypno-thérapeutiques des récits animés (littéralement dotés d’une âme), réflexifs, non-narratifs, et qui plus est ici hétérogène, fantasmatique et fantasmagorique.
Je n’ai pas encore pu revoir ce film depuis juin dernier mais les émotions multiples, contradictoires et mystérieuses qu’il a suscité sont encore bien présentes en moi. Je me souviens notamment d’un foisonnement généreux de fulgurances poétiques – moments de grâce où l’imagination individuelle se projette à l’infini – je me souviens du sentiment jubilatoire d’être encore bousculé artistiquement par un film d’animation.
• L’article que je lui ai consacré en juin 2021
• Sauf erreur, aucune date de sortie en France n’a été fixée à ce jour. Le film est distribué par Miyu.
Libres ! d’Ovidie et Josselin Ronse (France)
Cette série animée de facture très classique marque indiscutablement un jalon dans l’histoire de l’audiovisuel français.
Le corps et le sexe y sont traités sans tabous, sans recherche d’érotisation suspecte et, ceci expliquant sans doute cela, d’un point de vue féminin résolument progressiste.
En dix épisodes de quatre minutes, “Libres !” dynamite un demi-siècle de séries télévisées animées androcentrées et pallie à elle-seule (chiffres d’audience phénoménaux à l’appui : presque 20 millions de vue !) le vide abyssal en matière de contenus ludo-éducatifs – comiques et décomplexés, ce qui ne gâche rien – dédiés aux sexualités et aux facteurs socio-économiques qui les conditionnent.
Dans une société vraiment civilisée, cette courte série pourrait être montrée, partiellement ou intégralement, dans les collèges et lycées, elle pourraient être labellisée par l’Éducation nationale, voire remboursée par le Sécurité sociale. En attendant, elle est librement accessible jusqu’en janvier 2024. Vive le Service Public !
• L’article que je lui ai consacré en janvier 2021
• Pour voir ou revoir la série sur Arte.tv
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