Y’a comme un problème

 

Hier, 18 octobre 2023, l’excellent long métrage animé de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, Linda veut du poulet, sortait dans les salles françaises après une importante série d’avant-premières depuis le mois de septembre, d’ovations, de nominations et de prix dans les festivals nationaux et internationaux, une quasi-unanimité de la critique (à laquelle j’ai participé), avec le soutien engagé de la part de réseaux de professionnels prescripteurs comme l’AFCAE (Association Française des Cinéma Art et Essai) ou l’AFCA (Association Française du Cinéma d’Animation). Cette dernière valorise d’ailleurs le film en ce moment-même, via son opération de sauvetage-d’œuvres-en-péril-d”échec-commercial “L’AFCA s’anime pour…“.
La veille, je constatais in situ avec une certaine surprise le matraquage publicitaire autour de Linda sur les écrans lumineux animés de la gare Montparnasse, preuve des moyens inédits investis par son distributeur pour une production de cette envergure modeste.
J’étais donc heureux pour les spectatrices et spectateurs adultes qui allaient avoir le courage, contre leurs préjugés naturels, d’y trainer leurs marmots en partageant un plaisir immense, jusqu’à ce que je tombe en fin de journée sur cette accumulation de mauvaises nouvelles successives.

 

Le 9h des Halles
Cette première séance parisienne donne à peu près systématiquement le La de l’exploitation cinématographique d’un film, de sa première* carrière face aux publics non-initiés.

A 14h, le classement des audiences au démarrage sur Paris et sa périphérie donnait Linda veut du poulet en 4e position avec 746 entrées (réparties sur 40 salles), soit une moyenne d’environ 18 spectateurs par salle. Quand les Trolls 3 cumulaient 3 218 entrées (réparties 93 salles), soit une moyenne d’environ 34 spectateurs par salle, pour comparaison toutes proportions gardées.

 

Un signal d’alerte du terrain
Entre deux bouchées pendant le déjeuner, l’exploitant d’un cinéma “art et essai” d’une grande ville de Province (vous savez tout ce qui se trouve au-delà de la région parisienne) m’annonçait un brin dépité : “avant-première de Linda veut du poulet, zéro entrée”.

 

Une maladresse qui pourrait coûter cher
Début de soirée, la boîte mail de “Desseins animés” recevait un communiqué de la production du film avec une version de l’affiche rehaussée de punchlines sélectionnées parmi les cautions journalistiques estimées les plus utiles aux marketing du produit (oui, on l’oublie constamment, un film est un produit qu’il faut vendre !).

Si vous ne voyez pas l’intrus problématique, je ne peux vraiment rien faire pour vous.

 

Une critique dissonante qui en dit long

« Ce film […] est rempli de bonnes intentions. Mais il est permis de ne pas être séduit par son graphisme brouillon et son code couleur pour chaque personnage, bien réducteur. Et de ne pas se laisser embarquer dans son scénario résolument fantasque, qui quitte la route, bat la campagne, s’emballe follement et tourne un peu à vide. » (en date du 18 octobre 2023)

Même si je conviens aisément de la piètre acuité des critiques de cinéma du Canard enchaîné en matière de films d’animation, le journaliste coupable de cette pige a beau trahir son évidente ignorance du sujet, sa mini-critique n’en traduit pas moins la réalité de l’inculture artistique du spectateur moyen. Celui-là même qui fait, par le bouche-à-oreille, le succès commercial d’un film, celui (plutôt “celle”, en général) qui choisit d’accompagner au cinéma ses enfants non pas en lisant les avis de pseudo-experts systématiquement mâtinés de “poésie” et de “tendresse” pour masquer piteusement leur condescendance à l’égard d’un “cinéma-bis” indigne d’un minimum d’efforts rédactionnels (merci de me prouver objectivement le contraire !) mais arbitre sur le seul ressenti, par facilité conformiste qui plus est, face à une apparence. Laquelle est, concernant Linda, schématique, inachevée, brouillonne et assumée comme telle par parti pris artistique. Trois qualificatifs synonymes de qualité et d’audace formelle pour une infime minorité de la population, malheureusement.

Ce soir, j’ai l’amer sentiment qu’un mécanisme médiatico-culturel vicieux se reproduit perpétuellement. Et que rien ne semble pouvoir l’enrayer.
J’espère sincèrement que les prochaines semaines contrediront ce fatalisme.

 

 

* Sa deuxième carrière commencera dans quelques mois avec ses diffusions TV, DVD, streaming et ses exploitations à l’étranger. Sa troisième carrière, celle qui le sauvera probablement du possible échec commercial qui semble se profiler démarrera dans deux ans quand le film entrera dans l’un des dispositifs d’éducation à l’image, “École & Cinéma”, voire “Collège au cinéma”, selon toute vraisemblance.

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